Explosion sociale en Haïti

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De violentes manifestations ont éclatées en Haïti les 6 et 7 juillet.

L’élément déclencheur a été l’annonce par le gouvernement d’une importante augmentation des produits pétroliers : + 38 % pour l’essence, + 47 % pour le diesel et + 51 % pour le kérosène.

Ces mesures ont été prises par le gouvernement haïtien en application d’un accord imposé par le FMI, exigeant qu’il soit mis fin à la subvention des produits pétroliers. Ceci, bien que ce soient des produits de première nécessité dans un pays où, pour la plupart des gens, la seule source d’électricité est le groupe électrogène.

Avoir attendu le match France Brésil pour faire coïncider l’annonce de ces mesures anti-populaires avec le quart de finale de la Coupe du monde de football n’a fait que retarder de quelques dizaines de minutes premières manifestations de rue.

Nous reproduisons la déclaration de l’organisation haïtienne « Rasin Kan Pèp-la » que nous ont transmis nos camarades du Parti Communiste du Travail de République, ainsi que la déclaration du Conseil national des comités populaires (CNCP) de la Martinique.

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Une explosion sociale que tout le monde attendait, mais qui, jusqu’à présent, ne peut pas déboucher sur un processus révolutionnaire

Déclaration de « RASIN Kan Pèp La » – Haiti, le 12 juillet 2018

 

« RASIN Kan Pèp La » (Regroupement socialiste pour une nouvelle initiative nationale) salue la population haïtienne qui s’est levée les 6 et 7 juillet dernier pour arrêter le plan mortifère que voulait appliquer Tèt Kale, le parti au pouvoir.

« RASIN Kan Pèp la » se solidarise avec tous ceux qui ont perdu un membre de leur famille lors de ce mouvement de résistance.

Ce soulèvement est la conséquence directe des élections frauduleuses de 2015-2016 et d’un mode de gestion au service des intérêts de l’impérialisme et de certaines familles bourgeoises du pays. Nous saluons également le courage et la détermination d’une bonne partie de la population qui a suivi le mot d’ordre de grève les 9 et 10 juillet.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Jovenel Moïse, le gouvernement et le parlement ont adopté des décisions contre le peuple. Parmi ces décisions : l’approbation de la loi 3/8 qui viole les droits des travailleurs et des travailleuses ; le gaspillage d’argent pour des dépenses inutiles ; le vote et l’application d’un budget criminel qui ruine l’économie informelle ; le soutien à la corruption en protégeant ceux qui ont volé l’argent de PetroCaribe[1] ; la mise en œuvre d’une soi-disant « Caravane du changement » qui affaiblit les institutions ; le silence total quand Donald Trump a offensé le pays ; la création d’une caricature de force armée sans consulter le peuple ; l’adoption d’attitudes et d’actions arrogantes en détruisant les maisons de plusieurs familles qui vivent à Pèlerin dans le but de « nettoyer » le quartier où réside le chef de l’Etat.

Cette décision d’augmenter le prix du gaz a clairement démontré la soumission du Tèt Kale aux ordres de l’étranger, notamment du Fonds monétaire international (FMI), dans le but d’obtenir des aides financières qui continuent à alourdir la dette du pays. Le président et les principaux dirigeants de l’État ont ainsi mis à nu leur incapacité à défendre la dignité et la souveraineté du pays. Ils n’ont pas pris la moindre mesure pour protéger l’économie du pays de la hausse du dollar US et de l’inflation comprise entre 12% et 15%. Le Tèt Kale a décidé de geler le salaire minimum à un niveau misérable de 350 gourdes, alors que toutes les études montrent qu’un ouvrier travaillant à la SONAPI a besoin de 1 248 gourdes par jour ou de 29 971 gourdes par mois pour vivre dignement. La mauvaise gestion par le pouvoir de la dé-dollarisation de l’économie du pays a provoqué une forte augmentation des prix des produits importés. Le chômage qui grandit affecte surtout les jeunes malgré les sacrifices consentis par leurs parents pour qu’ils puissent aller à l’école. De plus, le gouvernement cherche à tromper l’opinion publique en faisant courir le bruit que l’État subventionne le carburant, alors qu’en fait, l’État et les distributeurs gagnent entre 40% et 50% de chaque gallon vendu dans le pays. L’augmentation des prix des produits pétroliers signifie une aggravation des conditions de vie du peuple. Le discours et l’attitude du Tèt Kale montrent clairement son mépris pour les revendications populaires.

Pour RASIN Kan Pèp La, la lutte et la mobilisation des 6 et 7 juillet auront une grande importance pour l’avenir du pays dans les 15 ou 20 prochaines années. En effet, la population a clairement fait savoir qu’elle ne tolérerait pas qu’une poignée de politiciens du parti au pouvoir tirent profit d’une série de décisions économiques, politiques et sociales qui font reculer le pays.

Jovenel Moïse, Guy Lafontant et les parlementaires font partie du problème. Ils ne peuvent pas, en même temps, être la solution. Ils doivent reconnaître l’échec de leur politique et rendre le pouvoir au peuple. Jovenel Moïse ne peut pas et ne devrait pas continuer à gouverner ! Le peuple ne doit pas accepter une transition organisée par le Département d’Etat[2], avec la complicité de deux ou trois potentats haïtiens sans la participation du peuple haïtien et de ses organisations. RASIN Kan Pèp Ia affirme que la solution économique, politique et sociale du pays passe par une série de décisions que le Tèt Kale n’appliquera jamais.

Nous devons résoudre le problème de la dépendance du pays vis-à-vis des pays impérialistes ; installer un nouvel Etat respectueux de la culture populaire avec une vision nationale claire de la gestion du territoire et des richesses du pays ; mettre en place un processus de consultation pour préparer une nouvelle Constitution préservant les conquêtes du 29 mars 1987 et allant beaucoup plus loin pour renforcer la démocratie et une participation populaire authentique à la prise de décisions ; résoudre le problème de l’alphabétisation, de la crise de l’environnement et du chômage ; reconstruire le système d’éducation et de santé au profit des citoyens ; commencer par la construction de notre souveraineté énergétique renouvelable et par un changement total dans la vision de développement du pays. Cela signifie que nous devons construire une société capable de rompre avec le système actuel tout en commençant à construire un Haïti socialiste.

RASIN Kan Pèp la propose les revendications suivantes qui sont le résultat d’un ensemble de discussions avec les secteurs populaires toujours marginalisés. Elles devraient faire partie d’un agenda politique prioritaire :

  1. Établir un salaire minimum de 1000 gourdes par jour
  2. Demander réparation, justice et indemnisation pour les victimes du choléra que les Nations Unies ont répandues dans le pays
  3. Exiger des Nations Unies la construction d’infrastructures pour que tous les habitants du pays puissent avoir accès à l l’eau potable qui est le meilleur moyen d’éliminer le choléra
  4. Exiger de la France la restitution de l’argent que le peuple haïtien a payé pour une supposée reconnaissance de son indépendance
  5. Installer un modèle d’économie paysanne agroécologique dans le cadre d’un projet de développement national et protéger les paysans pauvres contre les abus perpétrés sur les terres où ils travaillent ;
  6. Identifier, arrêter, juger et condamner tous ceux qui ont volé l’argent de Petrocaribe, qui doit qui doit être restitué au trésor public
  7. Mettre en œuvre un projet économique capable de rompre avec le plan criminel du néo-libéralisme dans toutes ses dimensions.
  8. Faire de la construction de logements sociaux une priorité nationale.

Le parti veut rappeler que la crise qui a éclaté vendredi 6 juillet est dans la continuité de la crise structurelle du système qui exerce une violence sans limités envers les couches paupérisées.

Les événements des 6 et 7 juillet ont montré la force et la capacité de mobilisation du peuple haïtien. Toute cette énergie doit être mise au service de la révolution dont notre pays a besoin depuis si longtemps.

« RASIN Kan Pèp Ia » rejette tout faux semblant de solution. Le parti fait appel aux masses populaires en général et au camp progressiste en particulier pour continuer à réfléchir et à agir concrètement en vue d’établir les bases d’un autre projet de société qui marque une rupture avec le système capitaliste. Cela implique la construction d’une société socialiste où tous les habitants du pays peuvent vivre de leur travail, selon leurs capacités. « RASIN Kan Pèp la » a confiance dans la capacité du peuple haïtien à écrire une nouvelle fois son histoire, à travers un nouveau processus révolutionnaire, à l’exemple de nos ancêtres en 1804. Cette nouvelle révolution doit mettre fin au système d’exploitation, de violence et d’exclusion pour commencer  à construire un Haïti socialiste dans la continuité la révolution de 1804.

A bas la vie chère, la corruption, l’impunité et l’exploitation !

Vive le tribunal populaire pour que le peuple puisse obtenir justice et réparation !

Un peuple qui lute ne perdra jamais la guerre !

Vive la libération et la souveraineté nationales !

Vive la construction socialiste en Haïti !

 Marc-Arthur Fils-Aimé, secrétaire général

Camille Chalmers, porte-parole.

 [1] En vigueur depuis 2007 PetroCaribe est un accord de Coopération Energétique signé par le gouvernement haïtien qui prévoit un approvisionnement en produits pétroliers au prix international du marché mais à des conditions préférentielles de paiement.

[2] Département d’Etat des Etats-Unis

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Haïti Chérie : Nou la épi-w !

Déclaration du CNCP (Conseil National des Comités Populaires) – Martinique, le 18 juillet 2018

Une fois encore, les troubles politiques secouent Haïti. Une fois encore, les médias affichent les images de la misère que subit son peuple. Une fois de plus, sont rabâchés les commentaires insanes imputant les difficultés qu’endure le pays à une malédiction qu’il se serait attirée.

Dans les reportages servis pas les médias occidentaux, on a pu entendre les manifestants dénoncer la mauvaise politique du gouvernement et les micro-trottoirs ont tous reflété « la désillusion de la population ». Par contre, et cela ne relève pas du hasard, aucun d’eux n’a rapporté les analyses et les déclarations faites par les organisations de la société civile, les partis politiques alternatifs, les organisations régionales de la Caraïbe et du continent Américain à propos des événements de la mi-juillet. Pourtant, ces réactions ont été  très nombreuses et elles portent des explications essentielles pour la compréhension de la situation qui prévaut actuellement  en Haïti*.

Ne braquer les projecteurs que sur des scènes de pillage, ou sur l’instabilité gouvernementale permet d’alimenter la vision caricaturale qu’ils veulent donner d’Haïti. Tous les mois précédents, des luttes exemplaires ont été menées pour l’augmentation des salaires, la défense des droits des paysans, contre la corruption, pour que l’ONU indemnise les victimes de l’épidémie de choléra dont elle est responsable. Combien de secondes ont été consacrées à ces mobilisations  par ces mêmes médias ?

Pour revenir aux  récents événements, nous partageons pleinement l’analyse du Parti Haïtien « Rasin Kan Pèp-la », pour qui cette explosion sociale «que tout le monde attendait », est due au fait que la politique menée par le Président Jovenel Moïse sert principalement l’intérêt des impérialistes et des grandes familles bourgeoises d’Haïti.

« Rasin Kan Pèp-la » relève que la situation s’est dégradée depuis que les droits des ouvriers ont été remis en cause par le vote de la loi 3/8 et que le gouvernement a fait détruire des maisons dans certains quartiers populaires. Cela, dans un contexte où persistent le gaspillage des fonds publics et  la corruption.

C’est la décision d’augmenter brutalement le prix des produits pétroliers qui a mis le feu aux poudres. Mais celle-ci a été prise sous recommandation du Fonds Monétaire International (FMI) qui pousse le gouvernement Haïtien à dégager des finances  afin d’être en mesure d’augmenter la dette du pays. Le problème à résoudre est, donc, celui de la dépendance vis-à-vis des pays impérialistes. Il s’agit, pour « Rasin Kan Pèp-la »  de reconstruire un état qui s’appuie sur une vision nationale claire en matière de gestion du territoire et des richesses du territoire, un Etat qui renforce la démocratie, la participation effective de la population et met en œuvre un processus de consultation.

 

En tout cas, la mobilisation du peuple Haïtien a contraint le gouvernement à annuler la décision d’augmenter le prix des produits pétroliers et a conduit à la chute du gouvernement. Mais la lutte n’est pas finie. Ceux qui connaissent l’histoire du glorieux peuple Haïtien, qui savent l’acharnement dont les impérialistes font preuve pour le maintenir sous tutelle, doivent, plus que jamais, manifester leur solidarité.

Pou nou menm, Pèp Aysien, nou ka di-w : Nou la épi-w !