A propos des locations gérance chez Carrefour Market

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Interview de Laurent Lamaury, délégué syndical central CGT Carrefour Market.

Cet interview est paru dans La Forge de novembre 2022.

Lors du rassemblement du 19 octobre devant le siège social de Carrefour à Massy (91), organisé par la CGT, nous avons rencontré Laurent, militant CGT. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur la bataille pour les salaires menée par la CGT dans le groupe et sur cette politique de « location gérance » développée depuis quelques années.

Je m’appelle Laurent Lamaury, je suis délégué syndical central (DSC) à Carrefour Market. Militant CGT et salarié d’un des magasins Carrefour Market.

Les magasins Carrefour Market sont des structures moyennes entre 30 et 150 salariés.

Quand je suis arrivé dans l’entreprise, sur 1000 magasins, 60 % d’entre eux étaient « intégrés », aujourd’hui il n’en reste plus que 250, soit 25 %. Ces magasins « franchisés » sortent du groupe Carrefour mais, en fait, à travers les contrats commerciaux que signent les responsables, ils restent dépendants du groupe par les fonctions supports (juridique…), mais surtout de par l’obligation qui leur est faite de passer par la centrale d’achat du groupe.

Avant l’arrivée du nouveau PDG, Alexandre Bompard, il y a cinq ans, le but affiché de cette politique était de mettre à distance des magasins considérés comme les moins rentables. Aujourd’hui, cela vise tous les magasins Carrefour-Market, ou en tout cas, la grande majorité d’entre eux. Au niveau du Comité économique et social (CSE), nous avons demandé à connaître ce que le locataire gérant reverse précisément au groupe. Cela nous a été refusé au prétexte du « secret commercial » !

Ces magasins sont repris à 95 % par des gens de Carrefour ou ayant travaillé à Carrefour comme des anciens directeurs opérationnels (DO) ou des anciens directeurs régionaux (DR). Il n’est pas rare de voir ces anciens responsables, qui étaient antérieurement responsable de tel ou tel magasin qui allait être « franchisé » ou qui le supervisait, en devenir du jour au lendemain le patron. Dans certains magasins dans « le rouge », comme celui de Boulogne (92), pour ne prendre qu’un exemple, pendant des années les investissements ont été quasiment inexistants, ce qui a participé à la dévalorisation du magasin. Le magasin a changé de statut, l’ancien directeur est devenu le patron et, visiblement, a pu négocier avec Carrefour jusqu’à la valeur des stocks, les a revendus et est parti. Sur celui de Paris-Lyon, prochainement en location gérance, Carrefour a investi dans les caméras de surveillance, alors que les « intégrés » souffrent d’un manque flagrant d’investissements… Bref, pour mettre en œuvre cette politique, la direction de Carrefour est prête à tous les petits arrangements entre « amis ».

Par-delà ces opérations un peu « space », il y a la volonté de Carrefour de faire de ces magasins de véritables vaches à lait pour le groupe via les prix élevés des marchandises en provenance de sa centrale d’achat. Mais aussi grâce à sa politique de loyers des magasins, que le groupe contrôle via sa filiale immobilière à 100 % « Carrefour Property ».

Les marges laissées par Carrefour à ces « franchisés » font que les locataires gérants mettent la pression sur les travailleurs-euses au sein des magasins afin d’être compétitifs. Les employés qui viennent de Carrefour ne peuvent garder que 15 mois, à partir du moment où le magasin va être franchisé, leur maigres « avantages ». Comme par exemple, la prime de vacances qui, en fonction de l’ancienneté, pouvait représenter jusqu’à un peu plus qu’un demi-mois de salaire. Mais même y compris pendant cette période de 15 mois, tout est fait par le nouveau patron pour revenir sur ces « avantages ». Je prends ne serait qu’un exemple, celui des tickets restaurants payés par la boîte. Chez Carrefour, au bout d’un an d’ancienneté, si tu travaillais de 6h à 12h, tu avais le droit au ticket restaurant. Aujourd’hui, avec le « patron franchisé », il suffit qu’il te change tes horaires de travail, qu’il t’oblige à faire 6h/11h et tu perds le bénéfice de ton ticket resto. Sans compter que les nouveaux embauchés n’auront pas de titres restaurant ce qui crée une inégalité flagrante entre travailleurs.

Ceci explique le turn-over des effectifs avant et après la « franchise » des magasins. On se débarrasse des anciens qui ont quelques « avantages » et une rémunération un peu plus importante pour les remplacer par des nouveaux. Et, à chaque fois, on constate une dégradation des conditions de travail, des salariés non remplacés ou par des « contrats-pro » qui tendent à devenir légion, aussi bien chez les « franchisés » que chez les « intégrés », l’augmentation des ruptures conventionnelles au rabais et bien sûr les démissions…

La mise en œuvre de cette politique a été facilitée par deux accords passés entre la direction, d’une part, et les organisations syndicales CFDT, FO et le SNEC (CFE-CGC), d’autre part.

Pour les élections des représentants du personnel à venir en 2023, la direction va vouloir renégocier à la baisse les périmètres géographiques de la représentation du personnel aujourd’hui de sept, pour les ramener à trois ou quatre. Ce qui va avoir pour conséquences d’avoir des magasins éloignés de plusieurs centaines de kilomètres et donc avec des difficultés sans nom pour aller à la rencontre des travailleurs. Le but de la direction est d’entraver au maximum l’action des élus et tout particulièrement celle des élus de la CGT.

Le 19 octobre, la Cgt a organisé un rassemblement pour les salaires, les embauches et contre la nouvelle annonce de cession de 41 nouveaux magasins en France (16 hyper marché et 25 Market).

Le 15 septembre, lors des NAO, la direction avait proposé 2 % d’augmentation générale. Nous avons organisé plusieurs grèves dès le 22 septembre et une nouvelle journée de mobilisation générale le 24 septembre. La direction du groupe a été contrainte de rouvrir les négociations. Mais comme nous nous y attendions, les autres organisations syndicales ont signé pour 2,5 % d’augmentation et une prime de 100 € !

Dans nombre de magasins, les salariés n’en peuvent plus et nous demandent de venir les aider pour se mettre en grève. Beaucoup de travailleurs-euses ont des doubles boulots. Beaucoup de femmes seules avec enfants. Et pour beaucoup, il faut choisir entre manger le midi ou le soir.

C’est très prenant, mais on maintient la pression. On organise les débrayages (sur une bonne vingtaine de magasins en Ile-de-France, mais aussi en province) et parfois à 5h du matin comme à Milly-la-Forêt (91). La réponse des salariés est toujours à la hauteur, car les ils/elles sont vraiment mal payé-e-s et souffrent de l’augmentation de l’intensité du travail. Parfois la direction nous envoie la police ou des huissiers pour nous intimider, pour nous faire partir, mais on tient bon !

La colère est là, on parle de remettre ça au moment des fêtes de fin d’année et nous serons présents le jeudi 10 novembre dans le cortège intersyndical.

Comité de Massy du Pcof