Lilith et Chacha, les Marcheurs pour la reconnaissance de tous les droits des victimes du chlordécone en Martinique

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Lilith n’a pas perdu ni de sa verve ni de sa conviction du bien-fondé de l’aventure qu’elle et son mari Chacha sont en train de vivre depuis le 30 juillet dernier en quittant Champigny sur Marne, leur ville de résidence en région parisienne. Bien plus, Lilith s’en nourrit et aiguise sa compréhension du chemin à parcourir pour faire connaître et reconnaître la responsabilité de l’État colonial français dans le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Elle vit, en toute humilité et dans son combat contre le colonialisme français, contre l’esclavagisme français « moderne », ce qu’ont vécu les esclaves noirs arrachés à leur terre d’Afrique. L’emblématique Al Pouessi (dite Marthe Adélaïde Modeste Testas), esclave de deux frères bordelais auxquels elle été vendue jeune captive et asservie, a évoqué chez Lilith toutes les peines du monde qu’elle ressent et qu’elle partage avec ses frères et sœurs, ouvriers et ouvrières agricoles empoisonnés par le chlordécone.

L’intervention de Lilith s’inspirait de son histoire propre pour souffler le vent et l’élan de solidarité qui doit se développer en soutien financier et économique, idéologique et politique au « Collectif des ouvriers et ouvrières agricoles et leurs ayant droits empoisonnés et empoisonnées par les pesticides (COAADEP) en Martinique et en Guadeloupe.

Oui, les Marcheurs ont raison d’accomplir ce périple de plus de 900 kilomètres entre Champigny sur Marne et Toulouse via Nantes et Bordeaux. Oui, ils ont raison de dire à toutes les oreilles curieuses ou acquises que le colonialisme français dans les Antilles est le seul responsable des conséquences meurtrières et pathologiques dans la classe ouvrière martiniquaise et guadeloupéenne. Oui, ils ont raison de dénoncer l’hypocrisie de l’hommage rendu par la ville de Bordeaux à Al Pouessi (dite Marthe Adélaïde Modeste Testas) : une petite statue en bronze à même le sol, et, une marche plus bas, une plaque commémorative à ses pieds, noire et invisible et, comme l’a remarqué Chacha, entourée de mégots et d’autres saloperies. « On lui marche dessus », c’est ce que Lilith a résumé.

Nous sommes intervenus pour répondre à l’interrogation légitime de Lilith et Chacha de savoir pourquoi les participants les accueillaient. Nous avons répondu avec nos mots que « votre lutte nous concerne directement parce que l’État français opprime et exploite la main d’œuvre et les peuples de ces colonies. En plus quand il y a empoisonnement des travailleurs comme il y a en Martinique, nous sommes complètement solidaires de votre combat. Nous suivons depuis plusieurs années vos revendications parce que nous sommes internationalistes » et anti-impérialistes.

Lilith a évoqué l’existence du chlordécone au Cameroun, certaines sources informent que le pesticide est ou a été utilisé en Côte d’Ivoire. L’impérialisme français a usé et abusé du chlordécone, que ce soit dans ses colonies ou ses néo-colonies. Les Martiniquais, les Guadeloupéens seront à même de faire traverser leurs revendications et leurs exigences face à l’État français de par les océans.

Lilith et Chacha s’y emploient avec leurs moyens. Ils savent que le succès de leur marche dépend d’abord et avant tout de la conviction des militants paysans acquis à leur cause. Ils souhaitent surtout les rencontrer. Ce soir, nos deux Marcheurs s’arrêteront à Preignac où, manifestement, une section de la Confédération Paysanne de Gironde les accueille. Bonne nouvelle à suivre.

Beaucoup de promeneurs, seuls, en couple ou en famille sur les quais, nous ont interpellés. Ils ont poursuivi leur chemin avec des explications, des expériences et des flyers de la marche entre les mains. Et pour certains les journaux La Forge ou Égalité dans les bras.

Nous n’étions au plus qu’une vingtaine. Mais forts de nos convictions et grâce aux échanges fraternels et amicaux, nous avons été tous, PCOF, Organisation Femmes Égalité, des femmes kanakes du Mouvement des Jeunes Kanaks en France, accourues dans l’urgence, parce qu’elles luttent elles aussi contre le colonialisme français dans leur pays de Kanaky, et Sud Solidaires, ainsi que les autres participants, anti-colonialistes et anti-esclavagistes, heureux de rencontrer Lilith et Chacha, de retrouver les deux Marcheurs.

Fatigués avec leurs kilos sur le dos, mais ravivés par notre accueil, nos deux amis ont confirmé que leurs espoirs étaient de voir leur marche pour les revendications du COAADEP aboutir.

Nos camarades de Toulouse les attendent avec impatience. Nous leur souhaitons bonne continuation.

Cellule Sanz Baena Bravo Bordeaux

COLLECTIF DES OUVRIERS  (ES) AGRICOLES

EMPOISONNES (ES) PAR LES PESTICIDES

MEMORANDUM

et REVENDICATIONS

I/ Contexte et Historique

A) Un empoisonnement massif perpétré en toute connaissance de cause

L’économie de la Martinique repose majoritairement sur la monoculture de la banane destinée à l’exportation. Le choix d’une agriculture extensive et productiviste mettant en avant la rentabilité, au profit des investisseurs, a impliqué l’épandage de toutes sortes de produits  phytosanitaires dont l’un ayant été mis en avant par l’actualité, à savoir : le chlordécone.

Le chlordécone, substance active ayant composé des pesticides organochlorés ultratoxiques et ultra-persistant dans l’environnement, ont été massivement utilisés, officiellement durant plus de vingt ans, entre 1972 et 1993,  sous les noms commerciaux de Képone, de Curlone, et de Musalone afin de lutter contre le charançon du bananier.

En France, dès 1968, la commission « d’étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture » avait préconisé l’interdiction du produit en raison de ses dangers potentiels pour la santé humaine, au vu des études menés sur des animaux de laboratoire.

En 1975, la toxicité du chlordécone était connue. En effet, un accident industriel, survenu à l’usine de Hopewell, en Virginie, a entraîné l’arrêt définitif de son utilisation aux Etats-Unis, l’interdiction de sa fabrication, de sa distribution et de son utilisation dès 1977 (voir annexe). Une trentaine d’ouvriers intoxiqués ont développé un ensemble de symptômes regroupés sous la dénomination de « syndrome du Képone », caractérisé par des troubles neurologiques (tremblements, perte de mémoire, troubles oculomoteurs et de l’élocution…), ainsi que des atteintes testiculaires et hépatiques pour certains.

Banni aux Etats-Unis dès 1977, classé cancérogène possible par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1979, la France a attendu 1990 pour décider de son interdiction (soit 20 ans après la découverte de la toxicité de la molécule)  et 1993 pour l’étendre aux Antilles (Martinique et Guadeloupe) après trois ans de dérogations, obtenues suite à des la demande pressante du lobby des producteurs de bananes, notamment via le  président du SICABAM, Yves Hayot, lequel était également le distributeur exclusif de spécialités à base de chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.

C’est en février 1972 que le ministre de l’Agriculture Jacques CHIRAC signe la première autorisation provisoire de mise sur le marché, compte tenu de la pertinence du produit pour lutter contre le charançon. Le produit se substitut au lindane (aussi connu sous le nom de gamma-hexachlorocyclohexane ou « HCH ») dont l’effet s’amenuisait au vu de la résistance développée par le charançon, avec un gain d’efficacité de l’ordre 100 pour la molécule de chlordécone. Cette dernière se présentait initialement sous diverses formes commerciales, en particulier celle du Kepone (produit américain interdit en 1977 aux États-Unis), qui précède historiquement le Curlone (produit français) qui étaient importés en Guadeloupe et en Martinique par la société Lagarrigue dirigée par Y.Hayot. Après l’interdiction du Kepone en 1977 aux États-Unis, les stocks ont permis aux agriculteurs antillais de continuer à en utiliser jusqu’en 1978. En 1981, les établissements Laguarrigue font homologuer, produire au Brésil, puis commercialisent le Curlone, à base de la même molécule, prenant ainsi le relais du Képone interdit. Entre temps, les cyclones David (1979) et Allen (1980) avaient favorisé la prolifération des charançons, motivant alors la poursuite de l’utilisation de chlordécone par les planteurs de bananes.

A l’occasion de contrôles de qualité de sources d’eau entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, une quantité particulièrement élevée de chlordécone (jusqu’à plus de 100 fois la norme dans les eaux), recherché parmi d’autres pesticides, sera découverte en Martinique puis en Guadeloupe, signant alors le début de la prise de conscience et l’éclatement du scandale.

Impact de la molécule sur l’environnement et la santé

Les sols contaminés des exploitations bananières, y compris ceux qui ont été rendus à la culture vivrière, sont à l’origine de pollutions graves des nappes phréatiques, de certains légumes, de viandes et de poissons, entraînant des interdictions de cultiver certains produits et des interdictions de pêche, aux conséquences sanitaires, économiques  et sociales importantes.

La contamination des sols est évaluée jusqu’à 7 siècles, selon le profil des profil des sols, par la communauté scientifique.

Environ 6000 tonnes de ce produit auraient été épandues en Martinique et en Guadeloupe.

Toute la chaîne alimentaire est contaminée, si bien que la quasi-totalité des antillais sont imprégnés par le chlordécone. Selon une étude publiée par Santé publique France en octobre 2018, plus de 95 % des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais sont contaminée par le chlordécone. L’exposition au chlordécone, également reconnu comme étant un perturbateur endocrinien, augmente les risques de prématurité, de troubles du développement cognitif et moteur des nourrissons ou encore de cancers de la prostate. Avec 227 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année, la Martinique est la région du monde la plus touchée par cette pathologie.

Si la quasi-totalité des martiniquais(es) et des guadeloupéen(ne)s sont victimes d’un crime d’empoisonnement, les premières victimes des grands planteurs de bananes békés et de l’inaction de l’Etat français sont les ouvrier(e)s agricoles. Il faut insister sur le fait qu’ils étaient contraints d’épandre les produits toxiques sans aucune protection pendant des dizaines d’années. Pour cette couche précaire de la population, le chantage à l’emploi était une arme impitoyable. Il leur était imposé de venir travailler même lorsqu’ils étaient déjà malades, du fait de leur exposition aux produits phytosanitaires, en violation des règles d’hygiène et de sécurité prescrites par le code du travail. La cruauté est même allée jusqu’à leur demander d’amener leurs enfants  dans les bananeraies afin de les « aider » ou de les remplacer. L’épandage aérien de fongicides a également participé à l’empoisonnement massif de la population (DITHANE (Mancozèbe), TILT250 (Propiconazole), SICO (Difénoconazole), BION (Acibenzolar-S-Methyl), GARDIAN (Fenpropidine) et BANOLE (Hydrocraquage de pétrole)). Ces produits repro-toxiques, perturbateurs endocriniens, et probablement cancérigènes étaient déversés sur les travailleurs pendant qu’ils étaient au champ, sur les maisons et parfois les écoles environnantes. Les plaintes auprès de la gendarmeries restant sans suite. « Le pilote ne peut pas faire autrement » s’est entendu dire un plaignant !

 Aujourd’hui encore, de nombreux produits phytosanitaires sont utilisés dans les plantations, à commencer par le glyphosate (la Martinique étant le troisième département en ayant consommé le plus en 2018). A l’empoisonnement passé des ouvrier(e)s agricoles s’ajoute l’empoisonnement présent. La plupart des ouvrier(e)s agricoles ainsi que les membres de leurs familles vivent aux abords ou dans les bananeraies, sur des terres parmi les plus contaminées au chlordécone de la Martinique et souffre de nombreuses pathologies, telles que les cancers (de la prostate, du sein, de l’utérus, des os, du poumon, généralisé…), les leucémies, les maladies endocriniennes, les maladies neuro-dégénératives telles que Parkinson et Alzheimer, insuffisance rénale, la polyarthrite-rumathoïhe… Précisons que des enfants, dont parfois les  parents n’ont pas révélé de maladies sont victimes de malformations cardiaques, de puberté précoce, de malformations génitales, retard de développement, etc. Les ouvriers ont souvent dénoncé la condescendance et l’inhumanité de la médecine du travail, laquelle se contentait de renouveler les congés maladie ou qui permettait le retour  au travail d’ouvrier(e)s suivant des chimio-thérapies.

B) Les réactions en Martinique

Les dénonciations

– Les ouvrier(e)s agricoles sont à l’origine des premières contestations liées à l’utilisation des produits phytosanitaires puisque, le troisième point de revendication lors de leur grève de Janvier-Février 1974 consistait en l’interdiction des produits toxiques dans les bananeraies. En dépit des négociations qui se sont déroulées après qu’ils aient été fusillés à Chalvet, cette revendication n’a pas été satisfaite. S’ils avaient été écoutés la catastrophe sanitaire n’aurait pas eu lieu, ou n’aurait pas été de cette ampleur : l’État  est donc directement responsable de cette catastrophe environnementale, sanitaire et sociale.

  • Dès le début des années 80, des écologistes, notamment au travers de l’action de l’ASSAUPAMAR et de l’APPELS, sous l’impulsion de Pierre DAVIDAS et de Garcin MALSA, ont alerté les autorités et l’opinion publique sur les dangers liés à l’usage des pesticides : de nombreux articles ont été publiés dans l’hebdomadaire ANTILLA et une plainte contre X a été déposée en 2006 pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui.

  • En 2007,Louis BOUTRIN et Raphaël CONFIANT ont publié  l’ouvrage « Chronique d’un empoisonnement annoncé. Le scandale du Chlordécone aux Antilles Françaises. » et l’association « Ecologie Urbaine  a déposé une plainte contre X  pour empoisonnement

Ajoutons encore que des plaintes ont également été déposées hors de Martinique :

  • En  2006,  c’est une association de consommateurs, l’URC qui porte plainte  pour « administration de substance nuisible et mise en danger de la vie d’autrui » en Guadeloupe.

En juillet 2019, le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) et l’association guadeloupéenne VIVRE, qui « défendent les personnes victimes d’empoisonnement au chlordécone», ont déposé une plainte contre X commune auprès du procureur de Paris pour «violation des obligations de conservations des archives publiques», «détournement d’archives publiques», «corruption active» et «recel».

Depuis septembre 2019, une action collective a été initiée par l’Association VIVRE et le CRAN pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat et l’obtention d’une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété subi par les victimes de la contamination au chlordécone.

Aucune de ces plaintes n’a permis aux Martiniquais et aux Guadeloupéens d’obtenir réparation des préjudices subis.

– Des médecins ont régulièrement tiré la sonnette d’alarme, en particulier le Docteur  Serge CHALON et le  Docteur Josiane JOS PELAGE. Cette dernière a mené un important travail sur les différentes pathologies en lien avec les pesticides dans le cadre de l’AMSES- Martinique (Association Médicale de Sauvegarde de l’Environnement et de la Santé). Les recommandations de ces professionnels n’ont jamais été prises en compte. Le Docteur JOS PELAGE a également activement lutté contre les épandages aériens de fongicides, lesquels ont cessé en 2014 en Guadeloupe et en Martinique, en dépit de leur interdiction sur le territoire hexagonal en vertu de la loi d’application du 12 juillet 2010 d’application résultant de la Directive européenne 2009/128/CE.

– Des Parlementaires Martiniquais(es) et Guadeloupéen(ne)s sont intervenus pour interpeller l’État quant à la gravité de la situation, en particulier  Philippe EDMOND-MARIETTE, Josette MANIN, Serge LETCHIMY, Maurice ANTISTE, Catherine CONCONNE, Jean-Philippe NILOR, Manuella MONDESIR KECLARD, Justine BENIN, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, Olivier SERVA, Victoire JASMIN.  

– La Municipalité du Prêcheur, après consultation des agriculteurs et de la population , a pris un arrêté interdisant l’épandage de pesticides dans certains secteurs de la commune. Le Préfet a obtenu la suspension de cet arrêté (malgré la réalité de l’empoisonnement massif de la population et de l’environnement). Le Maire Marcellin NADEAU a reçu les soutiens des  Municipalités des Trois-îlets et du François, de Claude Lise, Président de l’Assemblée de Martinique, des élu.e.s du rassemblement démocratique pour la Martinique, des élu.e.s du Parti progressiste martiniquais ainsi que celui de notre Collectif.

 – Des collectifs « Zéro Chlordécone Zéro pwazon » et « Lyannaj pou dépolyé Matinik » se sont constitués pour informer la population sur le scandale de l’empoisonnement et mobiliser cette dernière en vue d’obtenir réparation des préjudices d’anxiété, moral et physique subis.

  • Le PNRM (Parc Naturel Régional de Martinique) a institué un label zéro Chlordécone et mis en place une procédure de contrôle électronique des produits.

  • Des militants anti-chlordécone dont une majorité de jeunes ont organisé des boycott devant les centres commerciaux appartenant à l’une des familles responsables de l’empoisonnement, afin d’exiger  que justice soit rendue. L’État français a réagi par la répression, allant jusqu’à blesser et/ou mutiler, mais également à condamner trois des militants à de la prison ferme en première instance.

C) Les réponses de l’État Français

Face aux nombreuses alertes, L’État Français a donc toujours fait la sourde oreille et usé de la répression pour ne pas nuire aux intérêts des grands planteurs.

En septembre 1999 trois captages, à la source Gradis à Basse-Pointe, à la rivière Monsieur à Saint-Joseph et à la rivière Capot, révèlent la présence de  chlordécone dans l’eau potable. Aucune mesure n’est prise pour tenter d’arrêter cette contamination des martiniquais(es) par  l’Etat, alors même qu’il dispose de rapports (dont le rapport Bonan Mestre Fagot) indiquant des mesures à prendre pour y parvenir.

Quand les dérogations permettant l’épandage sont arrivées à échéance, l’Etat n’a procédé à aucun contrôle quant à la destruction des stocks de pesticides à base de chlordécone par les planteurs, qui ont continué à en user jusqu’en 2003 dans leurs bananeraies. Beaucoup plus tard des stocks importants ont été découverts sur certaines plantations.

Depuis une douzaine d’années, la DAAF, l’ARS, la Direction de la mer, l’ANSES, la Chambre d’agriculture, la FREDON, l’IFREMER, etc., soit un nombre considérable d’institutions, d’organismes, de services de l’Etat, d’instituts de recherche, ont mis en place des « Plans chlordécone » prétendant porter réponse à la crise .

– Plan I (2008-2010), Plan II (2011-2013), Plan III (2014-2020)

 L’objectif principal étant de dresser un état des lieux, d’élaborer des      programmes de recherche, et de mettre en œuvre des mesures permettant :

a) d’affiner les connaissances sur cette molécule et son impact (actions de  recherche);

b) d’engager des actions de sensibilisation et de protection de la population (plans de surveillance et de contrôle des denrées, programmes d’accompagnement des auto-consommateurs);

c) de soutenir les professionnels impactés (agriculteurs et pêcheurs..)

Le Plan IV entend convaincre les Martiniquais(es), qu’en dépit de la pollution, ils doivent apprendre à « vivre avec la chlordécone ». Manger, donner la vie, grandir, travailler, cultiver, bref « VIVRE en Martinique » en étant exposé(e)s à des substances mortifères, c’est possible. C’est la conclusion des services de l’Etat et des instituts de recherche.

On constate qu’à aucun moment ne sont prises en compte les questions du traitement des pathologies dont souffrent des milliers de Martiniquais(es), de l’indemnisation des victimes, de la désignation des responsables du crime d’empoisonnement au chlordécone, mais surtout des dommages causés tant à l’environnement qu’aux martiniquais(es).

– En Septembre 2018, Emmanuel Macron a reconnu, symboliquement, la responsabilité de l’Etat français dans l’un des plus gros scandales environnementaux, sanitaires et sociaux français et, depuis, cette déclaration n’a entraîné aucune mesure concrète. D’ailleurs, le jeudi 27 septembre 2018, Emmanuel Macron avait annoncé la possible reconnaissance comme maladie professionnelle des pathologies dont sont affectés les ouvrier.e.s agricoles, résultant de l’exposition au chlordécone (ce qui n’est pas satisfaisant eu égard au nombre de produits auxquels ils et elles ont été exposé.e.s), ce qui ouvrirait la voie à une indemnisation des ouvriers agricoles victimes de ladite exposition. Deux ans plus tard, les ouvrier.e.s agricoles ne jouissent toujours pas de ce régime d’indemnisation.

– En janvier 2019, la Commission des affaires sociales, suivant les recommandations du Gouvernement, a rejeté la proposition de loi d’Hélène Vainqueur-Christophe, députée guadeloupéenne, tendant à la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone en Guadeloupe et Martinique.

– En Décembre 2019, les députés ont voté le dépistage gratuit des populations martiniquaises et guadeloupéennes du taux de chlordécone dans le sang, et pourtant, l’application de ce dispositif est toujours attendue. Le débat public est animé par le chlordécone en oubliant les dizaines d’autres produits phytosanitaires utilisés dans les bananeraies, dans les champs de cannes à sucre, et dans les champs d’ananas. Actuellement, le test sanguin n’est pas pris en charge par la sécurité sociale et son coût varie entre 72 euros et 140 euros. Le développement des maladies pour celles et ceux qui ne peuvent pas se faire dépister relève donc de la responsabilité de l’État.

  •  La Commission Parlementaire présidée par Serge LETCHIMY, Créée  en Juin 2019 par l’Assemblée nationale, a publié son rapport le 26  novembre 2019. Elle a relevé les graves manquements de l’Etat et  des  planteurs  ainsi que l’échec cuisant des Plans chlordécone.
  • En Janvier 2020 les députés membres de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale ont adopté une résolution visant à la mise en oeuvre effective des principales mesures du rapport susvisé, ladite délégation étant en charge du suivi de ces mesures. Cette résolution requiert du Gouvernement qu’il dépose, en 2020, une « loi de programmation de la sortie du chlordécone et de la réparation de ses conséquences, avec les moyens associés ;  la nomination d’un délégué interministériel pour assurer une coordination et une transversalité des politiques publiques sur ce sujet ».

Face aux dénonciations et à l’exigence de réparation, l’État Français rétorque que « le lien n’a pas été établi entre les produits et les pathologies ! ». A cette fuite de responsabilités des auteurs de l’empoisonnement, il faut opposer le fait qu’ils ne financent pas les recherches pouvant établir ce lien et que leurs plans de résolution du problème s’étalent sur des décennies – donnant le temps à toutes les victimes de décéder. Les simples statistiques concernant les pourcentages astronomiques de décès et de maladies frappant tous ceux qui ont été en contact avec les produits suffisent à invalider leur « argument ». L’enquête réalisée sous l’égide du Collectif des ouvrier(e)s agricoles empoisonné(e)s par les pesticides – face à l’incurie de l’État – le confirme largement.

*

II / Le collectif des ouvriers (es) agricoles empoisonnés (es) par les pesticides

Le Collectif a été constitué afin que soit prise en compte la situation des ouvrier(e)s agricoles qui étaient les premières victimes de l’épandage des pesticides et dont la situation n’était pas prise en compte dans les débats sur l’empoisonnement. Il est constitué des ouvrier(e)s concerné(e)s et de leurs ayants droit, car beaucoup sont décédé(e)s des conséquences de l’empoisonnement. Il est appuyé dans son travail par trois commissions de travail regroupant des  personnels de santé, des juristes, des militants sociaux (Commission Santé, Commission juridique, Commission communication). Il a été créé en Septembre 2019 à l’initiative d’ouvriers et ouvrières, dont certains avaient dirigé la grève de 1974 dans les bananeraies.

Depuis, quatre réunion de secteurs ont été organisées (Lamentin, Robert , Lorrain et François) pour faire entendre les témoignages des victimes, informer le public et les élu(e)s. Dans le même temps, des rencontres ont été organisées avec tous les parlementaires et des autorités religieuses pour leur présenter les objectifs du Collectif. Ses membres poursuivent un travail d’enquête sur le terrain et des réunions pour élaborer le programme de revendications.

Le Collectif a également entrepris des actions de soutien à des ouvriers gravement malades et délaissés par les administrations françaises. Une cagnotte en ligne a été lancée pour conforter cette démarche de soutien.

Le Collectif entend interpeller l’opinion publique en Martinique et partout dans le monde et agir devant toutes les juridictions internes et internationale pour obtenir réparation du crime d’empoisonnement et l’indemnisation des victimes.

*

III/ – Revendications

Après la reconnaissance de l’État français relative à l’empoisonnement des Martiniquais, de leurs terres, des cours d’eau, des eaux côtières et de l’ensemble de la chaîne alimentaire; la reconnaissance de la responsabilité des grands propriétaires terriens dans ce scandale sanitaire, environnemental et social, liée à la fabrication, la distribution, la vente et l’utilisation des pesticides, dont le chlordécone, s’avère être indispensable :

1/ La prise en charge, par l’Etat, de tous les frais médicaux des ouvriers agricoles en activité ou à la retraite et/ou leurs ayant droit, liés à leur exposition aux produits phytosanitaires, en raison de leur activité professionnelle et/ou de leur lieu de résidence.

2/ La mise en oeuvre d’une campagne de dépistages sanguins afin de déterminer le taux de pesticides et de chlordécone dans le sang des ouvrier(e)s agricoles, des pêcheurs et de leurs ayants droit, dans un premier temps, avant d’étendre le dispositif à l’ensemble de la population martiniquaise, dans un deuxième temps.

3/ La reconnaissance, au cas par cas, par des médecins experts des pathologies d’origine professionnelle, des pathologies dont sont affecté(e)s les ouvrier(e)s agricoles en tant que maladies professionnelles, en raison de leur exposition à un risque chimique dans les exploitations de bananes, d’ananas et de cannes à sucre. 

4/ La revalorisation des retraites des ouvrier(e)s agricoles et la reconstitution de leurs carrières, car nombre d’ouvrier(e)s agricoles n’ont pas bénéficié des déclarations sociales, durant de nombreuses années, nécessaires à la perception d’une retraite, laquelle n’est, de fait, pas calculée au prorata des années de travail réellement effectuées. Avec minimum de 1000 euros. Rappelons que :

                              a) le montant des pensions des concerné(e)s oscille pour l’essentiel entre 200 et 700 euros et que celles et ceux qui désirent  bénéficier d’un « minimum vieillesse » sont invité(e)s à hypothéquer leurs biens afin que l’Etat récupère sa mise si les héritiers ne sont pas en mesure de rembourser les sommes versées pour atteindre ce minimum. 

                              b) La constitution des dossiers a été rendue quasiment impossible parce que souvent le travail n’était pas déclaré par les employeurs, parce que les travailleurs ont oeuvré tour-à-tour sur de nombreuses habitations qui ont disparu ou changé de propriétaire ou parce que vivant dans des habitats très précaires, les ouvrier(e)s ont perdu beaucoup de leurs papiers à l’occasion des différents cyclones.

5/ L’indemnisation des préjudices corporel, moral, d’anxiété et économique subis par les ouvrier(e)s agricoles et leurs ayants droit. Nombre d’ouvrier(e)s sont déjà décédé.e.s en raison de leur exposition aux produits phytosanitaires dans les exploitations précitées, et dans la grande majorité des cas, au mépris des règles d’hygiène et de sécurité édictées par le code du travail. 

6/ L’installation de centres de recherche, de dépistage et de soins, spécialisés dans le domaine des empoisonnements aux pesticides.

7/ La mise en place de structures médicales et d’accompagnement psychologique et nutritionnels visant à assurer une aide aux ouvrier.e.s agricoles et à leurs ayants droit, suite aux décès de membres de leur famille ayant travaillé dans les exploitations susvisées. 

8/ Suppression des taxes foncières  pour tou(te)s les ouvrier(e)s agricoles. C’est au prix de la sueur et du sang que certain(e)s ont pu acheter des lopins de terre. D’autres sont encore des occupants sans titre de propriété. Il est demandé à ces personnes qui touchent de 200 à 700 euros de pension mensuelle de payer des taxes foncières allant de 800 à 2000 euros par an. Au-delà même de cette situation inacceptable, se pose la question de la suppression de la taxe foncière pour tous les afro-descendants et descendants des personnes réduites en esclavage, les communautés immigrées après 1848, engagées pour pallier le manque de main d’oeuvre qui, avec le soutien de l’État colonial, ont été massivement truandées par les maîtres d’habitation de l’époque*.

9/ L’interdiction totale de l’utilisation, dans l’agriculture, de pesticides et de tous autres produits toxiques, mettant en danger les ouvrier.e.s agricoles mais  encore l’ensemble de la population martiniquaise en raison du caractère exigu du territoire, et de sa contamination présente. 

_____________________________________________________________

* Cette question doit être rattachéà la question de la Réparation des crimes contre lhumanité commis par la France, à savoir la traite des africains, leur réduction en esclavage et le colonialisme.

L’article 3  du décret du 27 avril 1848 organisant labolition de lesclavage vu par Victor SCHOELCHER avait pris soin de préciser que les cases et les terrains restaient propriété des maîtres. Des tournées ont été organisées par ladministration française sur tout le territoire pour le proclamer. Ceux qui refusaient de revenir travailler pour leurs anciens maîtres étaient expulsés de leurs cases. Jusque dans les années 1970 les propriétaires ont pu expulser des « casés » ou imposer des contre-parties aux habitants des terres de lhabitation. Or, pendant des décennies ils ont imposé des salaires de misère aux ouvrier(e)s agricoles, au  prétexte qu’ils leur avaient « donné  un morceau de terrain ». De même, les populations défavorisées, dont de nombreux ouvrier(e)s agricoles, occupants la zone des 50 pas géométriques, ont dû racheter au prix fort les terrains sur lesquels ils vivaient dans le cadre des opérations de « régularisation », y compris les déplacés d’après l’éruption de la Montagne Pelée, auxquels l’État s’était engagé à remettre gracieusement des titres de propriété.

Tous paient des taxes foncières exorbitantes.

10/ La mise en place d’épiceries solidaires, ou de tout autre dispositif permettant de mettre à disposition des ouvrier.e.s agricoles et de leurs ayants droit, une alimentation et un approvisionnement en eau exempts de produits phytosanitaires (et notamment de chlordécone), en raison de leur état de santé. 


11/  La décontamination de l’ensemble des populations martiniquaises et guadeloupéennes la dépollution des sols, la réfection des réseaux de distribution d’eau dont le mauvais état contribue à maintenir l’empoisonnement au travers de la consommation de celle-ci, la mise à disposition, pour les agriculteurs et les jardins domestiques, des terres contrôlées par l’État (ONF, etc). 

Ces revendications sont légitimes et conformes au droit international comme le confirment les textes législatifs et les jurisprudences citées en annexe.

*

IV/   L’appel du Collectif au Peuple Martiniquais

Le Collectif des ouvrier(e)s agricoles empoisonné(e)s par les pesticides appelle tous ceux et toutes celles qui considèrent son combat comme étant légitime, et qui souhaitent concrètement soutenir sa démarche. Nous invitons en particulier :

– les membres des familles à se mobiliser pour favoriser l’enquête sur la situation des ouvrier(e)s et celle de leurs proches.

– les municipalités, les syndicats, les associations de quartier et les militants bénévoles  à accompagner ce travail d’enquête.

– les professionnels de la santé, les juristes et les écologistes à apporter leur expertise dans l’élaboration de nos revendications

– Les parlementaires à relayer nos revendications auprès des institutions dont ils sont membres et auprès du Gouvernement français

La cause que nous défendons est d’intérêt national. C’est  principalement à nous que revient la tâche de réparer les dégâts de la catastrophe sanitaire,  environnementale  et économique causée par des choix productivistes et  égoïstes.  Nous surmonterons ce défi en  transcendant les barrières politiques, confessionnelles ou autres et en nous MOBILISANT,  ensemble , pour:

– revendiquer la réparation, par ses responsables, du crime d’empoisonnement;

– impulser un développement économique alternatif, tournant le dos  à la monoculture destinée à l’exportation afin de parvenir à l’autosuffisance alimentaire.