Ukraine : les enjeux pour les grandes puissances, pour les travailleurs et les peuples

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Nous publions des extraits de l’article « Ukraine, une militarisation qui inquiète » suivis de l’article sur les enjeux, qui sont tous deux dans La Forge de février

 » Tous les gouvernements des Etats membres de l’Otan ne sont pas sur des positions en faveur d’une confrontation armée avec la Russie, pour diverses raisons, que nous abordons dans l’autre article de cette page. De façon générale, la question d’une opération militaire russe visant à envahir l’Ukraine perd de plus en plus de crédibilité. Celle d’une opération militaire des USA contre la Russie, en Europe, n’est pas davantage à l’ordre du jour, car l’impérialisme US n’est ni prêt à s’engager dans cette voie, ni désireux de le faire. Pour les dirigeants étasuniens, l’objectif est de pousser les gouvernements européens à renforcer leur « défense » contre la Russie et d’empêcher la Russie de leur vendre du gaz, qui est indispensable pour bon nombre d’entre eux, à commencer par l’Allemagne. Mais comme l’a dit Biden, une opération militaire limitée de la Russie en Ukraine, n’entraînerait pas l’intervention militaire des USA. Cet « aveu », rapidement démenti par les voies diplomatiques officielles, traduit la position de fond de l’impérialisme US. » (…)

« Le système capitaliste impérialiste est traversé de contradictions aiguës, exacerbées par la crise économique, énergétique et les conséquences du réchauffement climatique. Ces contradictions se traduisent dans la montée des tensions entre les puissances impérialistes, qui prennent un caractère violent. Mais le passage à un affrontement armé, à une guerre directe entre les grandes puissances, n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce n’est pas juste un « point de vue » ; c’est le résultat de l’analyse marxiste-léniniste de ces contradictions, de leur degré d’aiguisement et des rapports de force qui en découlent. Le danger de guerre est inhérent au système capitaliste impérialiste et il ne disparaît pas tant qu’existe ce système.

Les enjeux

La crise autour de l’Ukraine est multiforme : il y a la dimension géopolitique, avec la question centrale de l’élargissement de l’Otan et la riposte de la Russie ; l’influence que l’impérialisme US veut conserver en Europe, les intérêts à la fois convergents et divergents des puissances impérialistes d’Europe ; les manœuvres de la Turquie… Elle a aussi une dimension économique, notamment autour de la question de la dépendance de la plupart des pays européens vis-à-vis des livraisons de gaz par la Russie – à des degrés divers, selon les pays. Cela se cristallise autour des gazoducs, Nordstream 1, en service depuis 2012 et Nordstream 2, en attente de mise en service. Interviennent également les relations entre la Russie et la Chine, cette dernière ayant d’importants besoins en énergie, et qui, ensemble, constituent une grande menace politique, économique et même militaire, pour l’hégémonie de l’impérialisme US au plan mondial. A ces enjeux qui relèvent des contradictions inter-impérialistes, qui s’entremêlent et s’exacerbent, il faut ajouter la question des contradictions de classe, les contradictions entre les puissances impérialistes et les peuples, car, en fin de compte, les impérialistes veulent faire payer toutes ces crises à la classe ouvrière, aux travailleurs et aux peuples. Au moment où la crise économique, avec son cortège de chômeurs toujours plus nombreux, d’exploitation renforcée dans les entreprises, et d’une augmentation partout des prix des produits de consommation, qui jette dans la pauvreté et la misère des pans entiers des masses travailleuses et des masses populaires, les dépenses en armements, en déploiements militaires, en hommes et en matériels, engloutissent des sommes faramineuses. Si les bruits de bottes qui se font entendre dans pratiquement tous les pays d’Europe, si l’intense propagande visant à diaboliser les « ennemis », notamment la Russie, et à appeler à une union nationale belliciste visent à occulter tous les problèmes sociaux, la profondeur de la crise économique et l’entreprise de surveillance de masse que les gouvernements ont déployée à la faveur de la crise sanitaire, il y la force de l’opposition populaire à la guerre et celle des travailleurs et des masses populaires qui refusent de payer la crise. C’est en tout cas à cette prise de conscience que nous devons travailler.

Biden essaie de mettre davantage tous les Etats membres de l’Otan derrière la direction politique et militaire de l’impérialisme US, en jouant la carte de la tension avec la Russie. Il les pousse à s’engager militairement et veut forcer l’Allemagne et les autres Etats de l’UE à se dégager de la dépendance au gaz russe ([1]). En même temps, il n’y a pas de véritable « alternative », du moins à moyen terme : le gaz naturel liquéfié (GNL) produit par les USA, l’Egypte, l’Algérie, ou le gaz de Norvège ne sont pas immédiatement disponibles, ce qui fait dire aux experts que « dans les dix ans à venir, la dépendance de l’Europe au gaz russe ne devrait pas diminuer » ([2]).

Poutine a mis en tête de ses exigences l’interdiction de l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et de la Géorgie, à laquelle il a ajouté le retrait des armes nucléaires des forces de l’Otan des Etats proches des frontières avec la Russie. Il se porte également garant des populations en majorité russes, de la République du Donetsk et de Lougansk, « autoproclamées ». Quant à la Crimée, annexée à la Russie en 2014, suite à un référendum, elle fait partie aux yeux de Moscou de la Russie et constitue un maillon militaire essentiel en mer Noire.

Erdogan mène une double politique : vendant des armes à l’Ukraine (notamment des drones), il est également intéressé à s’associer aux entreprises ukrainiennes spécialisées dans les moteurs d’avions. Mais il essaie aussi de se positionne en « entremetteur » avec la Russie, avec laquelle il a des intérêts communs (notamment en Syrie) et qui lui fournit le gaz (40 % de la consommation). Une politique d’équilibriste qui penche quand même du côté de l’Otan.

Macron poursuit son « dialogue » avec Poutine, engagé depuis sa prise de fonction, mais qui, de l’avis même de sa ministre Parly, n’a pas donné de résultat probant. Cela ne l’empêche pas de vouloir, lui aussi, jouer un rôle, en s’affichant comme interlocuteur important des deux chefs d’Etat, en multipliant les entretiens bilatéraux, en enfilant le costume de « chef d’orchestre » de l’UE… Il essaie de donner corps au concept « d’autonomie stratégique » de l’UE, mais décide « en même temps » d’envoyer des forces dans le cadre de l’Otan, notamment en Roumanie.


[1][1] Dépendance de l’UE au gaz russe : 46,8 %. Plus de 75 % pour la Tchéquie, Slovaquie, Autriche, Slovénie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Finlande, Estonie, Lettonie ; 50 % pour l’Allemagne, Pologne.

[2] « Les Européens cherchent la parade au gaz russe », Le Monde du 31 janvier.