Affaire de l’empoisonnement au chlordécone : une décision « d’injustice coloniale »

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Lors de la discussion d’une des propositions de loi présentées par le groupe de la FI, sur la question de la réintégration des hospitaliers qui avaient été licenciés parce qu’ils avaient refusé de se faire vacciner, un incident s’est produit à l’Assemblée nationale. Face à une provocation d’un député Renaissance qui cherchait à faire obstruction à l’exposé des raisons de ce projet de loi, un élu de la Guadeloupe, membre du groupe LIOT (1), lui a lancé « tu vas la fermer ! » Pour les députés des Antilles et de la Guadeloupe en particulier, cette question est loin d’être secondaire, leurs îles ayant été particulièrement impactées par les mesures de vaccination obligatoire, alors que les conditions sanitaires et médicales n’étaient pas assurées. Mais au-delà de la question de la vaccination, c’est l’arrogance et le mépris des représentants de l’Etat colonial vis-à-vis des populations ultra-marines que ce député guadeloupéen n’a pu supporter.

Un mépris qui s’est exprimé une fois de plus dans l’affaire du chlordécone, le parquet de Paris ayant demandé, le 24 novembre, un « non-lieu » dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone.

Cette annonce était attendue depuis que les juges d’instruction parisiens du pôle de santé publique avaient annoncé, fin mars 2022, la clôture de leurs investigations sans avoir procédé à des mises en examen.

Ce non-lieu vise avant tout à dissuader les juges d’instruction de poursuivre l’enquête, en raison de la « prescription » et d’un soi-disant « manque de preuves du caractère mortifère » du chlordécone. Des « preuves » pourtant recensées dans plusieurs rapports et dont les premiers remontent aux années 70. Ce que, après une longue bataille du Collectif des ouvrières et ouvriers empoisonnés par les pesticides de Martinique, la Sécurité Sociale a partiellement reconnu en prenant en charge au titre de « maladie professionnelle » les cancers de la prostate des seuls ouvriers agricoles des bananeraies. Mais comme le souligne l’avocat « c’est le premier gros dossier de pollution par un pesticide » et l’Etat colonial, qui a autorisé son utilisation pendant plusieurs années dans les bananeraies des Antilles après son interdiction officielle, entend par tous les moyens empêcher sa mise en cause dans l’empoisonnement des populations antillaises et de la pollution de la terre et de la mer d’importantes parties de la Guadeloupe et de la Martinique. Embarrassé par sa propre décision, le parquet s’est cru obligé de se justifier, en disant que cette décision « n’est pas non plus l’affirmation qu’aucun résultat dommageable n’a été entraîné par l’usage du chlordécone durant la période de son autorisation et ultérieurement » ! Une nouvelle illustration du « responsable mais pas coupable ».

Les parties civiles ont un mois pour faire des observations avant que le juge ne rende sa décision. Mais même si le non-lieu est prononcé, le combat pour la reconnaissance de l’empoisonnement et des responsabilités de l’Etat colonial français continuera.

Aucune de ces différentes procédures judiciaires n’auraient été possible sans le travail d’enquêtes préalables à la constitution des dossiers mené par le Collectif des ouvriers et ouvrières agricoles des bananeraies de Martinique avec l’aide de médecins et l’appui de différentes organisations syndicales et politiques. Et surtout sans la mobilisation populaire qui depuis dix ans n’a cessé de monter et de s’élargir : réunions d’information en Martinique et Guadeloupe, meetings comme celui organisé en février 2020 par le Comité 13 janvier de Martinique à Paris, manifestations regroupant des milliers de personnes, « marche de solidarité » comme celle de Lilith et Chacha cet été et que notre parti a soutenue et relayée, etc.(2) Quasiment inconnu en métropole il y a encore seulement deux ans, le scandale du chlordécone ne peut plus être passé sous silence. Face à ce déni de justice coloniale, les organisations martiniquaises appellent d’ores et déjà à une prochaine mobilisation le 10 décembre. Nous leur apportons toute notre solidarité.

1. Le groupe LIOT (libertés, indépendants Outre-Mer et territoires) est composé de 20 députés.

2. Voir notre site et La Forge 642 de septembre. Cf. aussi notre document regroupant les articles de La Forge parus sur le scandale du Chlordécone, disponible au prix de 2 €.