Bolivie : contre la fraude, pour une véritable démocratie populaire

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Nous publions le communiqué du Parti Communiste Révolutionnaire de Bolivie (PCR), sur les résultats des dernières élections présidentielles, entachées d’une fraude manifeste. Ce texte donne beaucoup d’éléments concrets sur la situation, relativement peu connue ici, de ce pays à forte population indigène.

Contre la fraude, pour une véritable démocratie populaire

Les élections générales du 20 octobre marquent un « avant » et un « après » pour Evo Morales et le MAS [1], car c’est la première élection présidentielle depuis 2005 où le duo Evo Morales – Alvaro Garcia [2] n’obtient pas la majorité absolue des voix. La défaite du parti au pouvoir lors du référendum de modification de l’article 168 de la Constitution Politique de l’Etat (le 21/02/2016) n’a pas empêché que le Tribunal Constitutionnel (par son jugement n° 84/2017) de reconnaître le résultat du référendum sur le « droit démocratique d’élire et d’être élu ».

Les préambules des élections générales ont été marqués par une escalade de conflits sociaux (les médecins, la défense du lithium [3], entre autres) et de mobilisations pour la défense de la région de La Chiquitania qui s’est trouvée pendant des mois dans une situation d’urgence du fait des incendies [4]. Ces conflits sociaux ont conduit à une polarisation croissante de la société, dans un contexte de résurgence de discours racistes, xénophobes, misogynes, régionalistes…, qui ont caractérisé la « media luna [5] » d’il y a une décade. Cela a créé un contexte politique de confusion totale dans lequel il y a, d’un côté, des groupes de choc de droite se sont fondus dans un regroupement dit « Processus de changement » et de l’autre les comités civiques jusqu’au CONADE (Comité National de Défense de la Démocratie), qui se sont unis pour « défendre la démocratie. Aucune organisation politique ou sociale n’a pu capter l’accumulation de mécontents et de contradictions qui s’aiguisent dans le pays.

Les résultats électoraux du 20 octobre dernier, sont tout d’abord une preuve des limites de la démocratie libérale représentative, incapable de résoudre les profondes contradictions que vit le pays. En polarisant le vote entre les forces officielles en poste (MAS-IPSP) et celles du « vote utile » en faveur de l’ex-président Mesa [6]. Le chiffre élevé de votes recueillis par le candidat fondamentaliste, misogyne et réactionnaire du Parti Démocrate-Chrétien est préoccupant, encore plus quand il propose son soutien à Mesa en échange de ce qu’il « abandonne le drapeau arc-en-ciel[7] ». Les votes en faveur du régionalisme oriental, exprimé dans l’alliance « La Bolivie a dit NON », ont été réduits à une expression minimum au niveau national mais elle se maintient dans les circonscriptions uninominales de Santa Cruz et Beni. Cinq partis ont perdu la personnalité juridique dans ces élections, pour ne pas avoir atteint les 3% des votes exigés : l’indigénisme du mouvement « Troisième Système » a obtenu un peu plus de 1%. Pour leur part, les partis traditionnels et ceux de la première vague populiste – MNR, UCS et FPV, ainsi que le fantôme Pan Bol n’ont même pas atteint 1%. Pour ce qui est du prochain Parlement, il est déjà certain que le MAS ne disposera pas des 2/3 nécessaires pour nommer le prochain Tribunal Suprême Électoral ou bien pour faire un procès politique ; en revanche, il reste la première force dans les deux chambres.

Le Tribunal Suprême Électoral, objet de sérieuses critiques pour son manque d’indépendance, a perdu encore plus de sa légitimité devant le peuple, avec les démissions successives de juges et de hauts fonctionnaires dans la période pré-électorale. Le système de comptage rapide, connu sous le nom de TREP, a été suspendu de façon irrégulière pendant presque 24 heures, alors qu’il manquait la publication de 17% des votes. Jusqu’alors, la tendance des résultats allait vers un deuxième tour car aucun candidat n’atteignait plus de 50% des votes et 10% d’avance sur le deuxième (ce sont les deux conditions pour être élu Président au 1er tour en Bolivie). Avec l’actualisation du TREP dans la nuit du 21 octobre, et avec total consolidé de 98,89% des résultats, il était annoncé, contre tout pronostique mathématique, une différence de 10,1% entre les deux premiers candidats. Ceci signifiait la proclamation de la victoire électorale du MAS dès le premier tour. Cela provoqua une vague de protestations au niveau national contre les autorités électorales, accusées de fraude et s’acheva par de fortes répressions et affrontements entre partisans du gouvernement sortant et les opposants.

Nous, communistes, somme conscients que ni Evo Morales ni Carlos Mesa ne représentent la transformation dont a besoin notre pays ; ils représentent tous deux les intérêts de différentes fractions des classes dominantes et tous deux appliqueront une politique antipopulaire. C’est pourquoi nous disons que la démocratie libérale représentative n’est qu’un mur de contention qui cherche à réduire la participation du peuple au fait de voter une fois tous les cinq ans. Nous, communistes, rejetons les tentatives de la vieille droite oligarchique de se refaire une santé et de développer son discours de haine, de racisme et de misogynie en utilisant les espaces de mobilisation populaire.

Nous ne pouvons pas tomber entre les griffes des discours régionalistes, racistes, misogynes et de haine. La lutte doit être aux côtés des travailleurs, des paysans, des peuples indigènes, le la diversité de genres, de la jeunesse, des femmes – c’est à dire des peuples boliviens.

Les luttes dans la rue et la résistance civile ne doivent pas servir uniquement à faire respecter la volonté populaire et assurer la transparence des processus électoraux. Nous devons interpeller l’essence même du système démocratique dans le pays : les formes de participation, les mécanismes de prise de décisions et les espaces de représentation. Nous devons apprendre des expériences historiques de la lutte sociale du peuple bolivien et des formes d’organisation qu’il a développées : l’Assemblée Populaire, la Coordination de l’Eau, les Conseils Municipaux, entre autres. Mais nous devons aussi comprendre que la démocratie c’est plus que la défense du vote, c’est de lutter pour des politiques publiques qui favorisent les intérêts du peuple bolivien et non pas les agro-industriels et les banquiers. C’est lutter pour la souveraineté nationale, pour que nos ressources naturelles ne finissent pas entre les mains des transnationales. C’est lutter contre la dette extérieure illégitime. C’est lutter pour le droit à l’éducation, la santé, le logement, l’alimentation, la liberté, l’organisation. Nous luttons contre la fraude, mais nous luttons aussi pour une véritable transformation du pays, pour la démocratie populaire, pour un pays où ce seront les grandes majorités qui détermineront leur propre destin.

La Paz, le 22 octobre 2019. Le Secrétariat du Comité Central – Parti Communiste Révolutionnaire (PCR).


[1] MAS : Mouvement vers le Socialisme. Parti de E. MORALES.

[2] Alvaro GARCIA : Vice-Président de la Bolivie.

[3] Le plus grand désert de sel du monde, le désert de Uyuni (10 000 km2) est en Bolivie. Son sous-sol renferme 17% du lithium mondial et 90% de la population de la région travaille dans ce secteur. Le lithium est indispensable à l’industrie des télécommunications. Le gouvernement Morales a commencé à l’exploiter. Une très forte confrontation sociale politique et écologique secoue le pays depuis plusieurs années, contre le plan de développement de ce lithium. Ndt.

[4] La Chiquitania est une région qui concentre beaucoup de monuments et de sites historiques, classés par l’UNESCO. De grands incendies ont touchés cette région : la population dénonce le gouvernement qui l’a laissée sans aide et sans moyen.

[5] Media Luna : demi-lune. Moitié orientale du pays, peuplée à plus de 60% d’indigènes. Cette région riche, comparativement au reste du pays, représente plus de 40% du PIB, avec des réserves d’hydrocarbures, de gaz et de grandes étendues d’agro-élevage. Suite à l’élection de Morales en 2005 cette région connu un fort mouvement autonomiste.

[6] Carlos MESA. Centriste. A été Président de 2003 à 2005.

[7] Drapeau de l’Etat bolivien depuis 2008.