Décès de Marcel Trillat

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Brillant journaliste résolument en prise avec les luttes sociales, auteur de nombreux documentaires sur la classe ouvrière, Marcel Trillat est décédé le 18 septembre 2020 à l’âge de 80 ans.

Un certain nombre de nos camarades ont pu le côtoyer à la suite des grands mouvements de grèves des travailleurs-euses sans papiers des années 2008/2011. Intrigué par ces grèves dans ce qu’elles avaient de spécifique, il est entré en contact avec les militants de la CGT – dont nos camarades – qui animaient ce mouvement.

S’en sont suivies de longues discussions, et pas simplement en salle de réunion, où il nous confiait : « jusqu’ici, la lutte pour la défense des immigrés se faisait essentiellement d’un point de vue moral. Et c’est très bien. Mais là, avec les grèves de travailleurs sans papiers, tout d’un coup, on passe à autre chose« . Cette autre chose, c’est bien évidement cette dimension de classe que se donnait le mouvement en privilégiant les grèves et les occupations d’entreprises de nettoyage, de déchetteries, de restaurants…

Par-delà les individus, « c’est le système qui est inhumain » comme il le dira en commentant un de ses derniers documentaires où il a filmé la préparation et l’organisation de plusieurs piquets de grève lancés de façon concomitante sur le département des Hauts de Seine (92) par le Collectif migrant confédéral de la CGT en juin 2013.

Marcel Trillat était aussi un militant d’une très grande modestie, sans chichi ; à l’occasion de la fête de l’Humanité, il tenait à être de chaque inauguration de notre stand pour lever le verre de l’amitié de la fraternité avec nos camarades, sympathisants et amis.

En hommage à Marcel Trillat nous republions ci-dessous l’interview qu’il avait donnée à notre journal en novembre 2014, où toute une page de sa vie militante s’ouvre à nous.

C’est le système qui est complètement inhumain

  • Comment passe-t-on d’« Etranges étrangers » à « Lorraine cœur d’acier » (LCA) pour revenir à « Etrangers dans la ville » ?

 « Etranges étrangers » se situe dans le contexte de 1969 où les journalistes comme moi qui ont participé à la grève de l’ORTF se sont fait virés. On avait constitué avec Roger Louis, qui était une vedette de l’émission « 5 colonnes à la une » une coopérative de production qui s’appelait « Scopcolor ». Et nous faisions chaque mois un magazine appelé « Certifié exact ». Et l’un de ces « Certifié exact » a été « Etranges étrangers » que j’ai fait avec Frédéric Variot. Ce film continue toujours de circuler et, en fait, il n’a jamais arrêté de circuler.

  • Comment expliques-tu cela ?

C’est simple. Les choses ont un peu changé, plus ou moins, mais les travailleurs immigrés sont toujours considérés comme des bêtes de somme, n’ayant aucun droit. Donc 40 ans plus tard, quand avec Jean Bigot, le producteur, nous avons décidé de revenir sur la question, nous étions très conscients de renouer avec cette première enquête.

  • Pourquoi ce regard particulier sur l’immigration ?

Je suis né au pied du Vercors. Ce n’était pas une très bonne idée de naître à ce moment-là, mais ça s’est trouvé comme ça ! La petite ferme de mes parents était un point de chute pour plusieurs groupes de résistance. Plus tard, je me suis retrouvé au collège et la moitié de la classe avait des noms étrangers. Beaucoup d’Italiens, beaucoup d’Algériens… Et le père d’un de mes meilleurs copains était un maçon italien antifasciste qui avait monté en 1944, avec d’autres, une coopérative de maçons qui s’appelait « La Fraternelle », les camions s’appelaient « l’Internationale », « Togliatti », etc. … Ce sont eux qui ont reconstruit la Chapelle-en- Vercors.

Quand la guerre d’Algérie éclate en 1954, j’ai 14 ans. On se bagarre dans les cours de récréation avec ceux de notre âge qui veulent tuer tous les « bicots ». Pour moi, qui avais côtoyé pendant la guerre une famille juive avec un enfant de mon âge, planquée par mes parents, le racisme était impensable. Il y a eu une mobilisation formidable à Grenoble contre la guerre d’Algérie et je me suis politisé dans la dénonciation de cette guerre. Quand je suis entré en 1981 au journal d’Antenne 2, une des premières émissions que j’ai faites, c’était pour l’anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961. J’ai fait un reportage qui est passé au journal de 20 heures. J’ai ressorti les archives et j’ai retrouvé des Algériens qui avaient été jetés dans la Seine. L’antiracisme pour moi, c’est fondamental.

  • Comment as-tu perçu ce mouvement de grève des travailleurs-euses sans papier de 2008/2011… ?

 Jusqu’ici, la lutte pour la défense des immigrés se faisait essentiellement d’un point de vue moral. Et c’est très bien. Mais là, avec les grèves de travailleurs sans papiers, tout d’un coup, on passe à autre chose. La plupart de ces étrangers sont des travailleurs et, de fait, on se retrouve dans une société presque d’apartheid avec deux sortes de citoyens. C’est complètement insupportable. Tout d’un coup, ces sans-droit disent : « nous sommes des travailleurs comme les autres ». On passe à quelque chose de beaucoup plus efficace, et de beaucoup plus convaincant.

  • Quand on voit ton film de 1969 et celui que tu viens de faire… Il s’est passé quoi entre 1969 et aujourd’hui ? Il y a comme un trou.

Il y a notamment eu la fameuse phrase de Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Ce monsieur l’a sortie lors d’une émission de télé avec Anne Sinclair. Il a, par la suite, essayé de la moduler en prétendant qu’il avait dit aussi dans la foulée : « mais elle doit en prendre sa part ». Ce qui est tout bonnement un mensonge, puisque c’est à un congrès de La Cimade, six mois plus tard, qu’il a essayé de corriger le tir. Cette phrase a en quelque sorte servi de cadre de pensée pour appréhender la question de l’immigration depuis des années. Je préfère de loin ce que dit la jeune policière dans mon dernier film : « On ne peut pas être insensible à la misère du monde » !

  • Que réponds-tu à ceux qui font un peu la moue en trouvant que ton film est trop complaisant avec les fonctionnaires qui travaillent dans les préfectures, dans les centres de rétention ou dans les zones d’attente ?

Effectivement, certains me reprochent d’avoir montré des fonctionnaires sympas et humains. Mais mon propos n’est pas d’expliquer que les flics sont tous des salauds. Mon propos est de montrer que ce qui est inhumain, c’est d’abord le système. C’est le système qui est complétement inhumain. Si je montre des flics qui sortent leur matraque, on va tous être d’accord très vite et ça n’apporte rien de plus. Mais filmer un commandant de la PAF dans une zone administrative qui explique qu’au-dessus de ces migrants en passe d’être expulsés, « il y a ces avions, ces vautours qui tournent au-dessus de leurs proies » …, il montre lui- même qu’il est complètement dépassé par ce système. J’ai voulu faire un film pédagogique et non pas un film démagogique et montrer comment se passe l’accueil des migrants en France et ce à travers différentes situations vécues par eux. Comme j’ai pu filmer dans tous les lieux de rétention avec l’autorisation du ministère de l’Intérieur, même si cela a été pour des laps de temps très courts, j’ai projeté le film au ministère. Je leur ai dit : « Il n’y a aucune raison que je vous remercie de m’avoir donné cette permission vu que pour moi, dans une démocratie, ces lieux d’enfermement doivent être connus par les citoyens ». Eh bien, ils ont fini par me dire qu’ils avaient beau chercher, il n’y avait pas une seule erreur dans ce que j’avançais, ni dans les chiffres, ni au niveau des infos.

Coffret DVD regroupant les deux documentaires de Marcel Trillat