Non à la casse du lycée professionnel !

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Les élèves et les enseignants du lycée pro de Cahors, le 18 octobre

A la veille d’une nouvelle mobilisation des enseignants et des élèves contre la réforme des lycées professionnels, nous reproduisons ci-dessous l’article paru dans La Forge de novembre.

Le numéro 1 de la revue « Rupture », consacré à l’éducation en système capitaliste, aborde la question de la formation des élèves dans la filière professionnelle. Elle éclaire cette question en lien avec les besoins actuels des entreprises

Les raisons d’une nouvelle réforme

Directement pilotée par Emmanuel Macron, cette réforme est perçue comme celle qui donnera le coup fatal au lycée professionnel et à toute ambition éducative et émancipatrice de cette voie de formation qui scolarise encore 30 % des lycéens, dont plus de 70 % sont issus des couches populaires.

Cette réforme est dans la droite ligne des réformes précédentes : celle du bac pro 3 ans qui a réduit le cursus scolaire d’une année de formation et celle de la réforme Blanquer de 2019. Cette dernière a diminué drastiquement les heures d’enseignement général au profit d’heures de « co-intervention » et « chef d’œuvre », renforçant une vision utilitariste (1) de l’enseignement général, au mépris de toute volonté de développement de l’esprit critique et d’acquisition d’une culture générale minimale. Elle a aussi porté atteinte à la professionnalisation de la formation, en créant des familles de métiers (2).

Comme le dit Jean-Paul Delahaye, l’ancien numéro 2 de l’éducation nationale, en s’adressant aux couches de la bourgeoisie : « Vous croyez sans doute que les employés des entrepôts qui mettent dans des cartons des produits fabriqués ailleurs n’ont pas besoin de penser ».

Cette réforme comme les précédentes vise donc à former à moindre coût les salariés de demain. Elle est aussi à mettre en lien avec la réforme de 2018 « Choisir son avenir professionnel » qui a permis au patronat de créer beaucoup plus facilement des écoles d’entreprises et avec la promotion continuelle et matérielle de l’apprentissage, à grands coups d’aide aux entreprises pour la signature de contrats d’apprentis.

Le Lycée professionnel est dénigré de façon permanente, Macron allant jusqu’à parler de « gâchis », sans que les difficultés bien réelles du LP ne soient analysées et alors même que ce sont les dernières réformes qui ont contribué à ces difficultés par la déprofessionnalisation et la perte de sens induite, ressenties en premier lieu par les élèves.

Aucun bilan n’a d’ailleurs été fait de ces réformes. Mais Macron martèle une conclusion de façon péremptoire et expéditive : il y a trop d’école, et pas assez d’entreprise, trop de cadre national, pas assez de flexibilité. Et de mettre en parallèle la fameuse réussite de l’apprentissage.  La « réussite » de l’apprentissage tel que martelé dans les médias est d’ailleurs à relativiser sérieusement. Le nombre d’apprentis a certes été multiplié par 2,5 atteignant aujourd’hui 700 000 jeunes, mais le nombre de jeunes recrutés l’a été principalement au niveau post bac. L’attrait de la prime au recrutement explique ces chiffres. Cette soi-disant réussite est d’ailleurs aussi à relativiser, quand on sait que 30 % des contrats sont rompus avant leur terme, que le pourcentage de réussite aux examens est moindre que celui du LP. Sans compter que la signature du contrat dépend de l’entreprise qui trie les apprentis : l’apprentissage est ainsi discriminatoire (seulement 30 % de filles, et peu de jeunes issus de l’immigration).

Parmi les autres raisons qui motivent la réforme, on peut y voir aussi la recherche d’économies : 8 à 10 000 postes d’enseignants pourraient être supprimés ! Mais il y a aussi et surtout un profond mépris de classe à l’égard des jeunes des milieux populaires et des enseignants de LP.

Le contenu de la réforme

Les contours sont encore très flous, mais elle serait néanmoins mise en place dès la rentrée 2023 ! 

Ce qui est déjà notable, c’est que cette réforme se fait sous la houlette directe du président de la république. La première étape en a été la mise de l’enseignement professionnel sous une double tutelle, celle du ministère du travail et celle du ministère de l’éducation nationale, avec, comme actrice principale, Carole Grandjean, ministre de la formation professionnelle. A noter que le ministre Pap N’Diaye est singulièrement absent ou muet dans les débats (notamment à l’Assemblée nationale). Tout un symbole : médiatiquement, les lycées pro n’apparaissent déjà plus comme relevant de l’éducation nationale…

Les principales mesures envisagées sont :

  • D’abord l’augmentation de 50 % des stages en entreprise, pour « ré-arrimer très en profondeur et en amont le lycée professionnel avec le monde du travail » avec toujours le postulat que l’entreprise formerait mieux que l’école. Cela aura comme conséquence concrète la diminution des heures de cours, déjà bien réduites par les réformes précédentes, au détriment de toute dimension éducatrice et émancipatrice et entravera toute poursuite d’études. La conséquence sera aussi de réduire la formation professionnelle à la technique alors que les élèves ont besoin d’une solide formation théorique qui leur permette de s’adapter dans le milieu professionnel.
  • Ensuite, les formations seraient flexibles en fonction du contexte économique local, avec la menace de fermeture de sections prétendument « non insérantes » en fonction de la conjoncture : « Il faut regarder formation par formation (…) et donc fermer certaines formations et en ouvrir d’autres ». Cette flexibilité serait aussi le maître mot au niveau des établissements, puisque les équipes pourraient adapter leurs horaires à la réalité locale. En fin de compte, le projet induit la fin d’un cadre national et la déréglementation libérale de la formation professionnelle. C’est ainsi la fin annoncée des diplômes nationaux, ce qui aura des conséquences très concrètes sur les qualifications, et s’avérera particulièrement néfaste pour l’ensemble du salariat.

Nous l’avons dit, cette réforme aura de lourdes conséquences, avec d’abord la suppression de 8 000 à 10 000 postes d’enseignants. Macron parle déjà de reconversion pour les enseignants de matières professionnelles. Quant aux professeurs d’enseignement général, un décret paru en août dernier leur permettra d’enseigner en collège ou lycée, c’est aussi une façon pour le système de résoudre en partie le problème de la pénurie d’enseignants…

18 octobre une première mobilisation historique en lycée professionnel

C’est un fait historique, l’ensemble des organisations syndicales rejette ce projet funeste pour les élèves et les personnels de la voie professionnelle. L’appel national a entraîné une mobilisation de très grande ampleur à travers tout le territoire avec des manifestations ou rassemblements un peu partout dans le pays devant les inspections académiques départementales ou les rectorats.

On dénombrait ainsi, le mardi 18 octobre, un taux de grévistes d’environ 60 %.

Les heures d’information syndicale organisées dans les établissements ont permis de discuter et d’échanger sur les enjeux et dangers que représente ce projet et de pousser de nombreux-euses collègues à se mobiliser.

Dans beaucoup d’établissements, les collègues ont réalisé des banderoles et organisé des rassemblements devant leur Lycée avant de rejoindre les manifestations.

Les personnels ont en effet pris conscience des menaces qui pèsent, une fois de plus, sur les élèves, principalement ceux des milieux populaires, à qui le gouvernement veut dénier le droit à des études dignes de ce nom. Après les réformes (bac pro 3 ans, Transformation de la Voie Professionnelle –TVP de Blanquer), l’urgence est à défendre le peu « qu’il nous reste » pour garantir aux élèves un minimum de formation qui leur permette d’évoluer dans la société et ne pas devenir, comme le projet le prévoit, de la « chair à patrons » toujours avides de main-d’œuvre bon marché.

A noter qu’un peu partout, des élèves ont rejoint la mobilisation, avec des mots d’ordre bien parlants : « Oui aux études, non au travail à 15 ans », « Nous ne serons pas de la chair à patrons ». Les élèves refusent en effet d’être des salariés « low-cost » et revendiquent une formation de qualité qui les forme en tant que citoyens et ne soit pas une voie de garage.

Ce 18 octobre a marqué une première étape dans la mobilisation, accentuée par l’appel inter professionnel qui a permis de faire converger les rassemblements et manifestations. Et, déjà, certaines organisations, dont la CGT et la FSU, appellent à une seconde journée de grève pour le jeudi 17 novembre.

  • Par vision utilitariste nous voulons dire que l’enseignement général n’est vu que comme des connaissances immédiatement utilisables pour résoudre des problèmes dans le cadre de la mise en œuvre de travaux professionnels.
  • Nous conseillons à nos lecteurs de lire (ou relire) à ce sujet certains articles du premier numéro de notre revue Rupture qui analyse en détail ces réformes.