Brésil : les élections de 2022 et la lutte pour la démocratie et le socialisme

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Traduction par nos soins de l’article paru dans le journal A Verdade, « le journal des travailleurs pour la lutte pour le socialisme », de la première quinzaine d’octobre (N°259).

Cet article complète celui qui est publié dans La Forge 644 de novembre

L’Union Populaire a obtenu un résultat significatif aux élections de 2022, où 65 millions de personnes ont voté contre Bolsonaro.

Beaucoup de joie mon peuple,

En rien envie de pleurer.

La vie est une souffrance éternelle.

Vivre n’est rien d’autre que lutter.

Qui ne se bat pas n’a pas le droit

De vibrer au son de la victoire.

(Capiba. Primeira bateria)  

Le 2 octobre, nous n’avons pas eu d’élection véritablement démocratique, car il n’y avait pas d’égalité entre les partis qui se disputaient le vote des électeurs brésiliens. En effet, les grands partis, qui comme par hasard défendent tous le maintien du système capitaliste injuste, ont eu plusieurs minutes pour faire de la propagande à la télévision et à la radio, ils ont reçu des centaines de millions de reais du Fond électoral, ils ont perçu des dons en millions de la grande bourgeoisie nationale et internationale. De son côté, l’Unité populaire (UP), un parti qui représente profondément la classe ouvrière, qui défend la fin du système capitaliste et son remplacement par le socialisme, n’a pas eu une seule seconde de propagande électorale à la télévision. Comme si cela ne suffisait pas, Léo Périclès, le candidat de l’UP à la présidence de la République, a été censuré par les grands médias qui ont refusé qu’il participe aux débats sur les chaînes de télévision et de radio. Cette inégalité, qui reproduit celle existant dans la société brésilienne, est assez évidente dans la manière dont le temps de propagande électorale a été réparti entre les partis, comme suit:

Lula(PT-PSB-PCdoB-PSOL)3 min 39 s
Bolsonaro(PL-PP-Republicamos)2 min et 38 s
Simone Tebet(MDB-PSDB)2min et 20 s
Soraya(União Brasil)2 min et 10 s
Ciro(PDT)52 s
Léo Périclès(UP)0 s

Les 4,9 milliards de reais (R$) du Fond Electoral ont été repartis de façon a bénéficier aux grands partis: 

PL, PP e RepublicamosR$ 288,5 millions + R$ 344,7 millions + R$ 242,2 millions = R$ 875,4 millions
União BrasilR$ 782,5 millions
PTR$ 503,3 millions
MDBR$ 363,2 millions
PSDR$ 349,9 millions
UPà peine R$ 3,1 millions

De plus, la législation électorale actuelle encourage les partis à cacher leurs programmes en leur permettant de former des super-coalitions pour avoir plus de temps de propagande télévisuelle. Dans ces conditions, on ne peut pas parler de véritable démocratie au Brésil. En résumé, le pouvoir perpétue la domination des grands partis dans la politique nationale et, par conséquent, les intérêts de la classe dirigeante, la grande bourgeoisie.

L’UP: l’avant garde dans la lutte antifasciste et pour le socialisme

Malgré tous ces obstacles, l’Unité Populaire, ses candidats et candidates ont joué un rôle de premier plan dans cette campagne électorale en dénonçant le plan putschiste du candidat d’extrême droite, des généraux fascistes et de Centrão. L’UP a largement diffusé son programme et sa proposition de profonde transformation sociale, de placer l’économie nationale sous contrôle populaire, de suspendre le paiement des intérêts aux banquiers, de procéder à la réforme agraire et d’appeler tous les exploités à se battre pour une nouvelle société, sans riches ni pauvres.

Malgré les immenses difficultés imposées par la législation électorale, Léo Périclès, de l’UP, a obtenu 0,05% des voix, devant le PCB (0,04%) et du PSTU (0,02%).

Pour le gouvernement de São Paulo, la candidate UP, Carol Vigliar, a obtenu 0,38% des voix, un vote 20 fois supérieur à celui obtenu par le PCO (0,02%). Pour le Sénat, la candidate UP, Vivian Mendes, a obtenu 280.460 voix (1,3%), devant l’ancien leader du PCdoB et ancien ministre de la Défense de Lula Aldo Rebelo et le candidat PCO, qui n’ont obtenu que 13.280 voix. Pour le président, le PCO a préféré ne pas présenter son programme aux élections et a déclaré son soutien au ticket Alckmin-Lula.

À Rio de Janeiro et Minas Gerais, les candidates UP, Juliete Pantoja et Indira Xavier, respectivement, ont également surclassé les candidates PCB, PSTU et PCO. Cette comparaison est pertinente et nécessaire, puisque, outre la participation pour la première fois de l’UP à une élection présidentielle, contrairement à ces autres partis, le PCB, le PSTU et le PCO n’ont pas eu droit à du temps TV et radio.

Le plus important interventionnisme d’un gouvernement durant les élections 

Jamais dans l’histoire de ce pays un gouvernement n’a dépensé autant d’argent public et adopté autant de mesures économiques pour influencer les électeurs. En voici quelques-unes : en 2021, 14,5 millions de familles avaient droit à  Auxílio Brasil (allocation familiale) ; en 2022, l’année de l’élection, ce nombre a été porté à 20,2 millions de familles. Dans le seul État de Rio de Janeiro, où le candidat soutenu par le gouvernement fédéral a remporté l’élection dès le premier tour, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 72 %. De plus, à la veille des élections, le gouvernement a accordé cinq versements de 1 000 R$ à un total de 341 000 camionneurs (et leurs familles) et à 247 000 chauffeurs de taxi. Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement a donné un gigantesque accélérateur au plafond des dépenses et a débloqué 19 milliards de reais du budget secret afin que les députés et les sénateurs de Centrão promeuvent le plus gros achat de votes possible le jour des élections. Ce crime est largement répandu dans tous les quartiers pauvres des grandes villes.

Les gros sous des requins de l’agro-industrie pour le candidat Jair Bolsonaro révèlent également comment le pouvoir économique agit pour s’assurer que le Congrès national ne représente pas la société brésilienne, mais les intérêts de la classe des riches : les plus grandes entreprises de l’agro-industrie ont fait don de 15,3 millions de R$ aux 450 députés, pour assurer une large majorité conservatrice et réactionnaire au Congrès.

Qui a gagné le premier tour?

Mais, malgré tous les abus du pouvoir économique, Bolsonaro le génocidaire a vu son principal adversaire, le candidat du Frente Brasil Esperança, Lula, remporter les élections dès le premier tour avec 48,4% des suffrages valables : il a manqué 1,6% des voix pour enterrer le gouvernement du Centrão et des fascistes, Bolsonaro, qui a bénéficié du soutien du Haut Commandement des Forces Armées. Il a obtenu 43,2%, des voix, soit 6 millions de moins que le candidat du PT.

Cependant, plusieurs analystes bourgeois présentent le candidat avec le plus de voix aux élections (Lula) comme presque vaincu et le candidat vaincu (Bolsonaro) comme presque vainqueur. Ils propagent le mensonge d’une «force bolsonariste » avec l’objectif clair d’éviter le découragement dans les gangs fascistes. Ils ne disent presque rien sur la perte humiliante d’un million de voix par le fils du président Eduardo Bolsonaro comme député fédéral à São Paulo. En 2018, il avait 1,8 millions de voix ; cette année, il n’a obtenu que 741 000 voix. On dit à peine que le champion des votes à São Paulo était le candidat Guilherme Boulos, du PSOL, qui a recueilli plus d’un million de voix.

Il convient de noter qu’en plus de l’utilisation d’argent public et privé, pour maintenir le gouvernement de Centrão, de nombreux travailleurs ont été menacés par le chantage des patrons de la fermeture des entreprises en cas de défaite de Bolsonaro. Même les personnes qui ont reçu des paniers-repas ou des paniers alimentaires de base ont vu leur allocation réduite pour avoir déclaré leur vote pour Lula.

Il y a plus : sur les 105,542 millions d’électeurs qui ont voté aux élections, additionnant les voix des candidats déclarés contre Bolsonaro, nous avons 65 millions d’électeurs, soit près des 2/3 des électeurs, qui ont dit non à l’intervention militaire et « plus jamais Bolsonaro ».

Dès lors, le vote obtenu par Lula n’a pas du tout déçu, bien au contraire. Il a montré l’énorme volonté et la détermination de la population brésilienne de mettre fin à l’un des pires gouvernements de notre histoire, responsable de la mort de centaines de milliers de personnes par la Covid, de l’augmentation de la violence contre les femmes, de la souffrance de 33 millions de Brésiliens de la faim et pour plusieurs tentatives de coup d’État militaire fasciste. En effet, pour que Lula l’emporte au second tour, il lui suffirait de conserver les voix dont il disposait. Le candidat fasciste devra, en plus de conserver toutes ses voix, obtenir sept millions de voix supplémentaires, ce qui, avouons-le, ne pourrait se faire qu’avec une grande fraude électorale. C’est pourquoi le gouvernement, qui a déclaré qu’il n’y a pas de famine au Brésil, a anticipé les versements d’Auxílio Brasil et de Vale Gás (chèque pour le gaz) pour, avant le vote du second tour, les élargir à 500 000 familles supplémentaires et promettre un 13ème mois de salaire à toutes les femmes.

Peu de temps après avoir voté à l’école publique Firmino de Araújo, à São Bernardo Campo, São Paulo, Lula a déclaré que « les gens veulent travailler, ils veulent vivre, ils veulent avoir accès aux loisirs, ils veulent avoir un salaire, ils veulent dîner, déjeuner, petit-déjeuner , ils veulent prendre soin de leur famille ».

Il aurait pu ajouter que le peuple veut la fin du racisme, un droit intégral à la santé et à l’éducation, etc., mais, en quelques mots, Lula a résumé certaines des principales aspirations de la grande majorité du peuple brésilien.

Aucun pays capitaliste au monde, même le plus riche, n’a résolu aucune de ces aspirations ou revendications de son peuple et encore moins des travailleurs qui ont immigré dans ces nations.

Les États-Unis, le pays capitaliste le plus riche du monde, avec un PIB de 25 000 milliards de dollars américains, comptent 5,7 millions de chômeurs et, chaque semaine, plus de 200 000 travailleurs sont licenciés. Entre 1973 et 2007, les salaires réels ont chuté de 4,4 % par heure travaillée, tandis que les 1 % d’Américains les plus riches ont triplé leurs revenus. De plus, rien que cette année, deux millions d’immigrants ont été arrêtés. L’Allemagne, premier exportateur européen, compte 5,5 % de chômeurs, soit près de trois millions de personnes. En Chine, nation qui depuis les années 1970 a abandonné le socialisme et rétabli l’économie capitaliste, 19,9 % des jeunes âgés de 16 à 24 ans sont au chômage et dans les 31 principales villes du pays, le chômage atteint 5,6 % de la population.

Le système capitaliste est si nocif pour l’humanité qu’en plus des dizaines de guerres impérialistes menées au cours des trois dernières décennies, qui ont causé la mort de millions d’enfants et de civils en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Mali, en Haïti, etc., récemment en Ukraine, avec la guerre entre la Russie et l’OTAN, il menace maintenant l’humanité d’une troisième guerre mondiale, qui peut conduire à la destruction de notre planète et des êtres humains.

Le Brésil est un pays capitaliste depuis près de 200 ans et quel avantage ce système a-t-il apporté aux habitants de cette nation ? Exploitation, bas salaires, chômage, pauvreté, faim, manque de logement, soins de santé privés pour une minorité et suppression du SUS et de l’éducation publique pour les filles et fils des travailleurs. Aujourd’hui, au XXIème siècle, 125 millions de Brésiliens vivent dans l’insécurité alimentaire et 33 millions souffrent de la faim. Le contrat de travail, droit conquis par les travailleurs depuis plus de 70 ans, est refusé à 40 millions de personnes. Dans ce système où la classe capitaliste est la classe dirigeante, les femmes ont un salaire inférieur à celui des hommes et, l’année dernière, 17 millions d’entre elles ont subi des violences. Les jeunes n’ont ni le droit de travailler ni d’étudier car il n’y a pas assez de places dans les universités publiques ou de bourses pour les étudiants pauvres. La santé est à l’image de la division de la société en classe, les riches reçoivent des soins dignes des rois et des reines dans de luxueux hôpitaux privés, tandis que les travailleurs s’épuisent dans des files d’attente pour obtenir un simple rendez-vous médical. Tout cela n’est pas dû à un manque d’argent dans les caisses publiques, au contraire, le Brésil encaisse des milliards chaque année, mais il utilise les ressources publiques pour payer des intérêts aux banquiers, financer l’agro-industrie et verser des pots-de-vin aux ministres et à la sainte famille du président béni par les pasteurs corrompus.

Quelle bourgeoisie progressiste est-ce là?

Il y a cependant des penseurs distingués qui croient qu’il y a une bourgeoisie lucide au Brésil qui soutient Lula et, par conséquent, nous devrions nous allier à elle, en laissant intacts ses intérêts et ses privilèges. Il serait naturel de penser comme cela : après tout, nous avons appris dans les écoles une Histoire du Brésil où la dictature était une démocratie et Dom Pedro I le héros de l’indépendance. Alors racontons une petite histoire pour vous ouvrir les yeux :

Le site Metropoles a récupéré les ordures de la résidence de Lula à São Bernardo do Campo, au service de qui ?, on imagine… Il y trouva une carte d’un bourgeois « progressiste », le président de Cosan, Rubens Ometto.

Rubens Ometto est le fondateur du groupe Cosan, une entreprise qui est le plus grand transformateur de canne à sucre au monde et opère dans les secteurs du sucre, de l’énergie, des lubrifiants et de la logistique. Sa fortune est estimée à plus de 45 milliards de R$. La veille du mariage de Lula, il a envoyé un cadeau à Lula et a écrit sur la carte : « Cher Président, comme promis, j’espère qu’il vous plaira !!! Câlins ». En 2018, Ometto a voté pour Bolsonaro et, cette année, il a fait don de 5,7 millions de R$ aux candidats de Bolsonaro, Tarcísio Freitas, Onyx Lorenzoni, Tereza Cristina et Ricardo Sales, 1 million de R$ à Bolsonaro et 100 000 R$ au candidat député fédéral du PT de São Paulo Ricardo Zaratini. En septembre, Lula avait déjà eu deux rendez-vous avec le milliardaire Ometto.

Croire, par conséquent, qu’un gouvernement social-démocrate, qui indique clairement que son objectif est de maintenir l’économie capitaliste et qu’il n’interférera pas dans les privilèges de la bourgeoisie, satisfera ou répondra aux aspirations du peuple à prendre soin des familles c’est aider à l’asservissement des travailleurs par la classe dirigeante.

En fait, tant qu’une minorité de personnes, la bourgeoisie, continuera à posséder des terres, des banques, des entreprises, des terres fertiles, des usines, c’est-à-dire la richesse de notre pays, la misère et la pauvreté continueront de se répandre dans ce pays. En effet, l’objectif du capitalisme n’est pas d’apporter des bienfaits aux pauvres ou de promouvoir la justice sociale, mais seulement de garantir un maximum de profits et d’avantages aux capitalistes.

En fait, ce n’est que dans une société dominée par les rapports de production socialistes que la production cesse de viser le profit capitaliste et commence à satisfaire les besoins de la société. Dans ce contexte, les usines ne produisent pas pour faire du profit à une minorité mais pour répondre à des besoins sociaux. Il en est de même pour l’agriculture, au lieu de produire de la nourriture pour le marché étranger, la priorité est de nourrir les gens de notre propre pays.

Il est clair que pour mener à bien cette transformation de la société, une révolution sociale est nécessaire, et il n’y a aucune raison de cacher cette vérité, car l’histoire de l’humanité et de notre pays possède des centaines d’exemples montrant que le seul moyen de réaliser les aspirations des travailleuses et des travailleurs est de faire une révolution socialiste, comme Marx et Engels l’écrivaient il y a plus d’un siècle : « La révolution est nécessaire non seulement parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dirigeante, mais aussi parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture de l’ancien système et de devenir capable de fonder la société sur de nouvelles bases » (K. Marx, F. Engels. L’Idéologie allemande. Hucitec Editions. 1977).

Voilà donc notre objectif : faire une révolution pour balayer la pourriture de l’ancien système et construire une nouvelle société.

Chaque pas que nous faisons, et nous en avons fait beaucoup, poursuit cet objectif. Chaque réalisation que nous accomplissons renforce cet objectif. Parfois, comme dans ce second tour, nous nous battons pour assurer les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire pour garantir les droits démocratiques déjà conquis, pour que notre combat continue d’avancer. Cependant, quel que soit le prochain gouvernement, nous nous dirigeons vers une période de nouveaux et de plus grands affrontements entre la majorité des exploités et la minorité des exploiteurs, entre le capital et le travail. Dans cet affrontement, qui se déroule déjà à un niveau encore initial dans notre pays et dans d’autres pays d’Amérique latine, soit la révolution gagne, soit la grande bourgeoisie nationale et internationale imposera un régime fasciste.

En effet, quel que soit le résultat de l’élection au second tour, les contradictions entre les classes de la société brésilienne continueront de s’approfondir. La différence est que, si l’extrême droite gagne, elle tentera de mettre en place une dictature militaire et de révoquer les quelques libertés que nous avons conquises, y compris la légalisation de l’UP elle-même. Si Lula gagne, ce risque n’existe pas, mais la grande bourgeoisie continuera d’être favorisée et gardera le contrôle des moyens de production, de la terre, du capital financier et des médias. Par conséquent, la lutte principale consiste maintenant à vaincre l’extrême droite et son candidat fasciste.

Les révolutionnaires ne choisissent jamais les conditions ni les moyens de mener cette lutte. Nous cherchons à nous améliorer chaque jour pour être préparés et donner le meilleur de nous-mêmes dans toutes les situations. Nous l’avons fait, honorant ainsi nos héros Manoel Lisboa, Emmanuel Bezerra, Amaro Luiz Carvalho, Manoel Aleixo, Amaro Félix, parmi des centaines d’autres héros de notre peuple, tels que Zumbi et Aqualtune.

(Article paru dans le journal A Verdade nº 259, 1ere quinzaine)