Suite aux émeutes de la jeunesse des quartiers populaires qui ont eu lieu en ce début de juillet 2023, il nous a semblé utile de publier ici deux articles parus dans notre journal de mai et juin 2018. Dans le rapport de la mission Borloo qui a été remis en avril 2018, ce dernier écrivait : « Nous vivons dans un pays où ¼ de la jeunesse est à l’arrêt » ! Macron et son gouvernement ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas ! C’est ce que viennent rappeler ces deux articles.
La Forge 595 – Mai 2018
Plan Borloo : Un brûlot dans les mains du gouvernement !
Ayant constaté que le gouvernement restait sourd à leur exaspération, en septembre dernier, ils sont allés chercher Borloo, « notre dernier espoir » disent-ils ! « Ils », ce sont les maires de banlieue, qui n’en peuvent plus de leur ville à l’abandon, de la misère économique, sociale, culturelle qui les ronge depuis des années mais que les conséquences des réformes Macron n’ont fait qu’aggraver.
Les maires se mobilisent et, si tous ne démissionnent pas comme le bouillonnant maire de Sevran (ville de 250 000 habitants, une des plus pauvres du département), qui a décidé de jeter l’éponge, plusieurs maires de villes moyennes ou de banlieues sont obligés d’abandonner les projets de rénovation urbaine qu’ils avaient engagés faute de financement. Alors Borloo, ancien ministre (de 2002 à 2010) est allé voir Macron qui lui a confié, en novembre 2017, le pilotage d’une mission : lui « proposer un plan de bataille pour les banlieues ». Ce plan a été remis au premier ministre, le 26 avril dernier.
Dans un entretien au journal Le Monde, Borloo, qui rappelons-le, a été ministre de la ville sous plusieurs gouvernements, dresse un constat terrible :
« La vérité, c’est qu’aucun plan n’a jamais été mis en place. Et moins on en a fait en matière de politique de la ville, plus on a annoncé de dispositifs, de chiffres et de politiques prioritaires. On a remplacé les moyens publics par les annonces publiques. Résultat, dans les quartiers, il y a moins de services publics, moins de crèches, moins d’équipements sportifs, moins de capacités financières des communes (30 % de moins), moins d’accès à la culture, moins de policiers, des professeurs et des agents de police plus jeunes, qui coûtent donc moins cher… C’est un scandale absolu. » Et encore : « La situation est grave. Il y a notamment 500 000 jeunes de 16 ans à 24 ans, en bas des tours, les bras croisés. Nous vivons dans un pays où un quart de la jeunesse est à l’arrêt. »
Un rapport accablant, construit avec et par les acteurs de terrain
Le rapport compte dix-neuf « programmes » thématiques (rénovation urbaine, éducation, mobilité, sécurité et justice, entreprises et emploi, leadership, égalité et mixité…). Il est le fruit d’une réflexion et d’un travail menés des mois durant avec les élus et les associations de terrain mobilisés au sein du collectif « Territoire gagnants » (à l’initiative de Bleu Blanc Zèbre et Ville et Banlieue). Ces acteurs de terrain ont notamment effectué un « tour de France » afin de faire émerger les solutions les plus innovantes et efficaces déjà en place dans certains quartiers.
Nous ne pouvons pas ici, dans le cadre d’un article, reprendre et analyser toutes ces propositions. Elles n’ont rien en elles-mêmes de « révolutionnaire » mais ce que ce rapport a de nouveau c’est qu’il veut faire des quartiers populaires la priorité d’une politique nationale qui se donnerait des moyens financiers – 48 milliards d’euros – pour parvenir à rétablir l’égalité.
Dans l’introduction à ce rapport, Borloo écrit :« Si on ajoute [aux quartiers difficiles] les territoires ruraux délaissés et certaines villes ou bassins en grave déprise, ainsi qu’une partie importante de nos territoires d’outre-mer, ce sont plus de 10 millions de compatriotes qui sont éloignés du moteur de la réussite, n’ont pas les mêmes conditions de départ, les mêmes services de base et donc la même chance de pouvoir, par leur effort et leur mérite, construire un véritable avenir. Pour cette France, tout est plus dur. C’est donc bien de la France, de son souffle, de son dynamisme, de sa croissance et de sa cohésion qu’il s’agit, de notre propre regard sur notre société et notre conception de l’égalité républicaine réelle. » (…)
« Redevenons une puissance d’action, une grande puissance éducative, économique, scientifique, républicaine, fraternelle, dans le respect des rêves et des différences de chacun, en faisant coïncider notre grandeur avec le rêve républicain. »
Il s’agit en fait d’un rapport qui émane d’acteurs qui connaissent et sont proches de la réalité de ces quartiers populaires et qui veulent, dans le cadre du système, trouver des solutions pour réduire ces inégalités, car ils comprennent qu’elles hypothèquent l’avenir du système lui-même. Sauf que les mesures qu’ils proposent vont à l’encontre de la politique choisie par l’oligarchie et conduite par Macron. Prenons juste deux mesures proposées.
– Seulement 12 % des entreprises de plus de 250 salariés respectent l’obligation d’avoir 5 % d’apprentis et les sanctions pour ceux qui s’en exonèrent sont dérisoires. Le projet propose donc de mettre en place de vraies sanctions, d’une extrême violence, si elles ne s’y conforment pas dans les deux ans.
– Pour promouvoir la mixité, financement de 216 « Maisons Marianne » au bas d’immeubles, confiées à des associations promouvant l’égalité, et l’accompagnement de 100 000 femmes vers l’emploi ou la formation professionnelle. 30 000 places en crèches seraient créées et le dispositif des « adultes-relais », sorte de contrats aidés réservés aux plus de 30 ans, relancé.
Ces deux exemples pris parmi l’ensemble des propositions, montrent que ce plan s’inscrit dans une logique de redistribution en faveur des quartiers populaires. On est très loin du chemin emprunté par Macron et son gouvernement depuis un an !
Ce document est porté par de nombreux maires pour qui c’est l’ensemble des mesures qu’il contient qu’il faut appliquer ; il est soutenu par des intellectuels qui demandent également à Macron de l’appliquer dans sa totalité. C’est un véritable brûlot ! C’est pourquoi les membres du gouvernement se sont empressés de réduire l’importance de ce plan. Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a qualifié les préconisations de Borloo de « base de travail ». « Ce n’est pas à Borloo de décider », a-t-il insisté sur la chaîne LCP. C’est un rapport destiné à « nourrir le futur plan présidentiel », a, de son côté, précisé le premier ministre, Edouard Philippe.
Mais vu le retentissement qu’a eu ce rapport, vu la façon dont il a impliqué nombre d’acteurs de terrain qui se l’ont approprié et sont prêts à le défendre bec et ongles, Macron va devoir manœuvrer habilement… s’il le peut ! Sa décision sur le rapport est attendue le 22 mai. ★
La Forge 596 – Juin 2018
Principales mesures annoncées par Macron en réponse au plan Borloo
En place et lieu d’une « cour d’équité territoriale » – juridiction qui serait chargée de sanctionner l’inaction des administrations –, Macron s’est dit ouvert à la mise en place d’une « instance de recours et de transparence » dans laquelle « le Parlement devrait avoir un rôle important à jouer ». L’objectif ne serait plus de sanctionner mais d’évaluer et contrôler la mise en œuvre des politiques publiques. – Création d’« un opérateur de rattrapage qui mobiliserait tous les acteurs privés et publics » lorsqu’un territoire manquerait « d’équipements publics ». Cet « opérateur » agirait au sein de la future Agence nationale de cohésion des territoires, dont on ne connaît encore ni les statuts ni les missions. – Promesse de 30 000 stages (15 000 offerts par les entreprises, 15 000 par l’Etat) pour les élèves de troisième, réservés aux adolescents des quartiers populaires. – Pour les copropriétés dégradées, le chef de l’Etat souhaitait « qu’on puisse accompagner les établissements fonciers » et « définir d’ici juillet une dizaine d’opérations d’intérêt national qui permettent d’accélérer le travail de requalification ». – Appel à la bonne volonté des cent vingt plus grandes entreprises françaises, sommées de « prendre leur part » dans la lutte contre les discriminations. Des « testings » (tests anonymes mettant au jour les pratiques d’embauche) seront effectués, au rythme de quarante par an pendant trois ans. – Finalisation « d’ici à juillet (d’)un plan de lutte contre le trafic de drogue ».
Réactions à ces annonces
Tous les maires élus des territoires visés par le plan Borloo, quelle que soit leur couleur politique, se sont dit déçus des annonces faites le 22 mai par E. Macron. Aux micros ou dans les colonnes des journaux, pas un pour accorder un satisfecit au président ; des réactions les plus virulentes à celles plus mesurées, tous disent leur déception. Maire de la Seyne-sur-Mer, dans le Var, Marc Vuillemot résume ainsi son appréciation : « On va cibler quelques quartiers pour la police, quelques opérations sur les copropriétés dégradées, quelques centres de formations d’apprentis ouverts ici et là. Cela n’a rien d’une politique publique d’Etat, parce qu’on ne veut pas y mettre le budget. Et ça ne règlera aucun problème. » Dans le journal Le Monde, qu’on ne peut taxer, loin s’en faut, de révolutionnaire, les analyses du discours et des mesures annoncées par E. Macron sont assez pertinentes. Dans son Editorial du 25 mai, le journal écrit : « Les constats dressés par maints rapports : les quartiers en difficulté manquent, plus que les autres, de tout ce qui contribue au lien social : services publics, mixité, possibilités individuelles et collectives. C’était le message central adressé par Jean-Louis Borloo : sans politique de rattrapage vigoureuse – et nécessairement coûteuse –, l’on est condamné à en rester aux vœux pieux. En ignorant cette recommandation, le chef de l’Etat a démontré soit que ce n’est pas sa priorité, soit qu’il n’en a pas les moyens. » ★
Nous ajouterons pour conclure :
Difficile en effet de satisfaire aux besoins de la jeunesse des quartiers populaires quand on a été élu pour faire une politique au service des riches, des patrons et des marchands de canon !